Grand central station. C'est une enclave juive au sud de Tel-Aviv qui abrite, et finalement engloutit, tous les laissés-pour-compte et exilés de la galaxie. Une sorte de zone tampon entre les Juifs du Nord et les Arabes de Jaffa. C'est aussi le lieu où se tissent les plus belles idylles amoureuses et où se dénouent les conflits ancestraux, un grand foutoir cosmopolite mais aussi un important hub terrestre qui mène vers la Lune, Mars ou Titan, une espèce de porte du commerce galactique. Bref, le spatioport de Central Station est un personnage à part entière de ce roman au futurisme débridé et joliment démesuré − par ailleurs lauréat du prix John-Wood-Campbell Memorial : « C'est la matrice hors de laquelle l'humanité a rampé, bec et ongles ensanglantés, en direction des étoiles. » De là, des voyageurs en attente feront le voyage pour gagner le Nouvel Israël, sur Mars, tandis qu'une galerie d'individus aux secrets embarrassants se contentent d'y survivre au quotidien.
On y parle l'hébreu ou le « pidgin astéroïde », la langue universelle de l'espace. On y croise des réfugiés africains et philippins, des extraterrestres, d'anciens robots vétérans des guerres du Sinaï, les « robotniks », qui font désormais la manche pour une pièce détachée, une dose d'essence ou d'alcool... Mama Jones est l'une des figures les plus populaires du lieu, elle tient un shebeen, un petit snack où l'on fume le narguilé, tout en s'occupant de Kranki, un enfant qu'elle a adopté, né de bidouillages informatiques dans une clinique génétique. Une vie routinière, jusqu'à ce que réapparaisse son ancien amant, Boris Chong. Après avoir été médecin dans une clinique d'enfantement de Central Station, Boris a baroudé des années avant de décider de revenir s'occuper de son père Vlad, littéralement et physiquement habité par la mémoire de son aïeul Weiwei, concepteur et créateur de Central Station. Boris retrouve également une autre femme qu'il a aimée, Carmel, qui s'est hélas transformée en « strigoï », une créature interdite de séjour, qui suce l'esprit de ses victimes. Pour ces personnages en déshérence, Central Station sera peut-être un terminus, celui de vies souvent cabossées, qu'un vieux robot religieux, le père R. Ustine tente d'apaiser... On deale de la foi sous la forme d'une drogue que l'on appelle « Christofix », et l'on vit entre le brouhaha incessant du spatioport et celui de la Conversation, une sorte de monde parallèle virtuel dans lequel on se dédouble.
Ce grand roman d'aventures humaines et extraterrestres est constitué d'intrigues qui se croisent et qui révèlent un monde en constante fragmentation, où les grands conflits actuels du Proche-Orient apparaissent en filigrane. Lavie Tidhar nous offre ici, sous la forme d'une chronique presque psychédélique, une monographie bouillonnante, quelque part entre les créations mythologiques d'Ursula Le Guin et le futurisme urbain de N.K. Jemisin. Central Station dézingue les clichés et les automatismes désuets qui dominent souvent la science-fiction, réinventant le genre.
Central station
Mnémos
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20,50 € ; 256 p.
ISBN: 9782382671085