Entretien

Jacques Réda : "De toute façon, j'ai trop écrit !" 

Jacques Réda chez lui en 2011 - Photo Olivier Dion

Jacques Réda : "De toute façon, j'ai trop écrit !" 

Conversation avec Jacques Réda, le doyen de nos poètes, qui célèbre à sa façon les soixante-dix ans d'une carrière vaste et plurielle en publiant pas moins de trois livres (1). Et s'en excuserait presque.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 09.02.2023 à 18h00 ,
Mis à jour le 10.02.2023 à 17h54

Livres Hebdo : Jacques Réda, on est impressionné par l'ampleur de votre bibliographie, plus de quatre-vingts titres en soixante-dix ans de carrière...

Jacques Réda : Peut-être. Mon premier livre, en effet, Les inconvénients du métier, est paru chez Seghers en 1952. Après avoir arrêté mes études de droit et effectué mon service militaire, j'avais fait des petits boulots. J'ai été ensuite magasinier chez Seghers, que je connaissais un peu et à qui j'avais écrit. J'y étais vraiment très heureux.  Mais de toute façon, j'ai trop écrit. L'idéal, ce serait d'écrire un seul livre dans sa vie, et qu'on soit sûr qu'il surnage.

On vous connaît surtout comme poète, mais on s'aperçoit que vous avez aussi écrit des romans.

Trois ou quatre, en effet, et ils ne sont pas fameux ! Le premier, Aller au diable (Gallimard, 2002), ça m'a amusé de l'écrire. J'avais donné le manuscrit à Antoine Gallimard, sans avoir de nouvelles. Un jour, il me téléphone − la seule fois − pour me demander de le retravailler. Ce que j'ai fait, et il est finalement paru.

Chez Gallimard, vous étiez auteur depuis déjà longtemps ?

Depuis Amen, en 1968. À l'époque, je ne connaissais personne. Un ami professeur fréquentait le poète Michel Deguy, alors membre du comité de chez Gallimard, et lui a fait passer mon manuscrit. Deguy l'a donné à Georges Lambrichs, qui dirigeait alors la collection « Le chemin ». Je suis allé le voir. Impression catastrophique. Marcel Arland, en revanche, qui dirigeait la NRF, a aimé et en a publié des extraits. Le livre a fini par sortir, en mai 1968, et a obtenu le prix Max Jacob. Ça m'a permis de partir voyager en Grèce.

Comment avez-vous commencé à écrire sérieusement ?

Ce devait être en 4e. À partir du moment où on étudiait les grands textes classiques, comme Le bateau ivre de Rimbaud. Ça m'enchantait. Moi qui n'étais pas d'un milieu littéraire du tout, je voulais faire pareil. Je me suis mis à imiter tout le monde : La Fontaine, Victor Hugo, Heredia... Et j'ai fini par me rendre compte que je n'étais pas Baudelaire... Mon premier vrai texte, en revanche, date de 1956. Une courte page, reprise plus tard dans le recueil La fête est finie. Pour la première fois, je me suis dit : « ça, c'est de moi ».

C'est de votre formation classique que provient votre écriture poétique ? Vous êtes l'un des rares poètes contemporains à écrire en vers, souvent rimés.

Sans doute. Paul Valéry disait : « Le premier vers d'un poème est souvent donné. » Écrire, c'est se mettre dans un état particulier, in the mood. La rime vient toute seule, c'est lié à l'énergie du corps. Au rythme, donc à la musique, à la danse. Aujourd'hui, à mon âge, j'ai un peu de mal, mais enfin... Autrefois, qui disait poésie disait vers, rimes. Je m'y suis tenu, avec quelques licences : ainsi, je suis un grand amateur du vers de quatorze pieds, que j'appelle le « suralexandrin ».

La poésie qui, contrairement au roman, ne raconte pas une histoire, repose-t-elle avant tout sur le langage ?

Bien sûr, on écrit une langue. Et c'est l'une des difficultés d'aujourd'hui. La langue que nous connaissons et écrivons est en train de disparaître. C'est une sorte de latin, une future langue morte. La littérature ne va guère mieux. Les écrivains vivent dans leur bulle. Sortons dans la rue, dans mon quartier, non loin des Buttes-Chaumont, où un tiers des habitants, d'origine étrangère, ne parlent pas le français « classique ». Maliens, Bengalis, Algériens, chacun a le sien, et je trouve ça très bien. Notre langue est de plus en plus métissée, comme toutes les langues. Un jour, alors que je commandais du pain, mon boulanger, algérien, m'a demandé : « Réda, c'est ton nom ou ton prénom ? » Ici, qui a lu Proust ?

Auteur Gallimard, ancien membre du comité de lecture, ancien directeur de la NRF, vous avez travaillé toute votre vie dans le monde du livre. Êtes-vous un lecteur sévère ?

Pas forcément. Au comité de Gallimard, il y avait surtout des écrivains. Malraux, Camus etc. Puis, de mon temps, Tournier, Pontalis, Kundera... Maintenant, je n'y connais plus grand monde. Et, comme partout ailleurs, c'est le côté commercial qui prime. Je lisais des manuscrits de poésie, mais aussi des romans. Puis, au bout de quarante ans, j'en ai eu marre.

Comment avez-vous écrit Leçons de l'arbre et du vent ?

J'y songeais depuis trois-quatre ans, mais l'histoire du Covid a accéléré les choses. Je me promenais dans mon quartier, les Buttes-Chaumont, le Père-Lachaise. Il n'y avait personne, plus de voitures, plus de bruit, juste la présence des arbres. Je me suis donc lancé et ai décidé de leur consacrer un livre. Ce n'est pas la première fois. Dans Lettres sur l'univers et autres discours en vers français (Gallimard, 1991), figurait déjà un « Dernier chant des forêts ». Dès les années 1970, on parlait déjà de l'écologie, du danger que couraient les forêts. Tous les spécialistes étaient d'accord, sauf le commandant Cousteau ! Personne ne les a écoutés, et on se retrouve là où nous en sommes.

Vous écrivez notamment : « Or l'arbre des bronches dépend du souffle des feuillages : / Un gaz délétère, sans eux, très vite nous aurait / Étouffés et bientôt, à coup sûr, nous suffoquerait / Si nous ne mettions fin aux massacres et gaspillages / Qui de l'Amazone au Congo dévastent la forêt. » Vous semblez croire à une possible solution ?

« Gardons pourtant confiance... »

Vous dites aussi : « Mon feuillage, ce sont les vers que j'ai signés. »

Une œuvre, c'est quelque chose de vivant, sinon ça disparaît. Mais l'auteur existe beaucoup moins qu'on ne l'imagine.

Vous publiez presque en même temps, chez un petit éditeur, Fario, Mes sept familles, un recueil d'essais, presque pédagogiques, consacrés à huit de vos poètes contemporains favoris : Follain, Frénaud, Gáspár, Grosjean, Louis Guillaume, Ponge, Tardieu, et Queneau. Vous aimez aimer, comme disait Cocteau ?

Par ailleurs l'auteur de très beaux vers ! Oui, bien sûr, même si, contrairement à la critique française, je n'accepte ni ne refuse une œuvre en bloc.

Question redoutable : s'il n'y en avait qu'un, votre poète favori ?

Paul-Jean Toulet. Un poète « mineur », ça ne me gêne pas.

 

(1) En plus de Leçons de l'arbre et du vent et de Mes sept familles, Jacques Réda publiera le 17 mars chez Fata Morgana, un livre-objet, fac-similé du Citadin, bulletin périodique qu'il réalisa entre 1997 et 2010.

Jacques Réda
Leçons de l'arbre et du vent
Gallimard
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 16 € ; 144 p.
ISBN: 9782073007339

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