5 janvier > Essai Israël > Eran Rolnik

Tous les deux furent inventés à Vienne, à la fin du XIXe siècle. Il était donc prévisible que le freudisme et le sionisme non seulement se rencontrent, mais se retrouvent dans le yishouv, l’implantation juive en terre d’Israël, dans la Palestine sous mandat britannique. Ajoutons-y le socialisme, la révolution russe et l’on aura une idée complète du sujet novateur traité par Eran Rolnik.

En racontant, avec beaucoup de clarté, la migration de la psychanalyse d’Europe centrale vers la Palestine, cet historien des mouvements culturels et intellectuels met en lumière deux disciples de Freud, Max Eitingon et Moshe Wulff, qui fondent à Jérusalem en 1934 l’Association psychanalytique de Palestine sur le modèle berlinois. Dans ce contexte politique, il n’est pas étonnant que le premier livre de Freud traduit en hébreu fût Psychologie des masses et analyse du moi. Car, et c’est bien ce qui rend cet essai passionnant, Eran Rolnik explique comment la psychanalyse a d’une certaine manière accompagné le sionisme et comment le sionisme a façonné à son tour la psychanalyse transportée en Orient.

De ce moment très singulier qui unit Marx, Herzl et Freud, il tire une étude qui peut aussi se lire comme une sorte de psychanalyse sociale. Lorsque Berlin et Vienne se déplacent à Jérusalem, ce n’est pas sans douleur. Pour ces immigrants germanophones en Palestine, la psychanalyse fait office de "substitut d’identité". On comprend alors mieux l’assimilation rapide des théories de Freud en milieu sioniste. Ce fut comme une réponse à un besoin et à des demandes d’individus.

Cette psychanalyse palestinienne, orientale, aura une influence sur la libération sexuelle, les kibboutz et la littérature hébraïque. Tout le pays se retrouve sur le divan. D’autant qu’après le traumatisme de la Shoah, la réalisation du rêve sioniste s’effectue dans la violence du conflit israélo-palestinien. Sur ce point aussi, la psychanalyse aura son mot à dire. Freud, qui voulait éviter que sa théorie soit présentée comme une "science juive", qui voyait le sionisme comme un état mental et qui se méfiait du nationalisme, avait compris les choses très vite. En 1918, au sortir de la Grande Guerre, il donnait ce conseil à son ami Sándor Ferenczi : "Retirez à temps votre libido de la patrie et mettez-la à l’abri dans la psychanalyse sinon vous allez, nécessairement, vous sentir mal."L. L.

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