Elle arrive. Cheveux noirs et lisses, chemisier blanc boutonné jusqu'au col, toute de douceur et d'inquiétude mêlées. Dans cet hôtel parisien cosy qui jouxte les locaux de son éditeur, on se dit d'abord que c'est fou comme Isabelle Sorente, qui commande un thé comme on sollicite une faveur excessive, ressemble à l'idée qu'on pouvait s'en faire. Et que c'est bien, parce que pour avoir lu ses livres, cette idée est on ne peut plus séduisante. Il y a chez elle comme un air d'histoires d'enfance et de toute éternité.

Décalages

C'est tout cela que l'on retrouvera dans son fascinant dernier opus, Le complexe de la sorcière. Cinq ans qu'elle n'avait pas publié. Les vrais écrivains ont tout leur temps. Roman, puisque c'est ce qu'il y a de marqué sur la couverture ? Soit, roman puisqu'elle « cherche une forme de vérité dans la fiction » dit-elle, mais surtout parce qu'elle y fait gracieusement de l'équilibrisme entre les marges les plus fécondes de la littérature. Là voilà plongée dans ces siècles durant lesquels se développèrent ce qu'elle appelle « les chasses », quand les hommes brûlèrent les femmes sans rime ni raison autre que la terreur que leur inspirait le sexe opposé. Pour elle, ces vieux récits de sorcellerie qu'elle a compulsés fiévreusement durant des mois, sont comme la matrice de tout autre récit. De fantastique d'abord. Et de celui qu'elle finit toujours par découvrir dans les replis de sa vie. Puis, il faut toujours faire confiance à son inconscient, cela dispense de toute intrigue. Sa biographie ne la retient guère ; tout juste saura- t-on de cette fille d'un père alsacien et d'une mère tunisienne qu'elle fit polytechnique, fut aviatrice, voulut être comédienne et oublia un jour un tournage pour cause de découverte essentielle : l'écriture. Elle s'était trouvée ou au moins perdue avec l'intensité qu'elle désirait. Cette intensité, qui, comme dans ce livre, à la fois l'éloigne des mornes rivages de l'autofiction tout en la ramenant à elle. C'est-à-dire, à l'enfance et à l'adolescence. « J'ai dans ces pages été fidèle à la personne que je suis comme à l'adolescente que j'étais. » Car, bon sang mais c'est bien sûr, la sorcière, c'est d'abord, c'est toujours, l'enfant seule, aux prises avec les épreuves que lui infligent ses semblables dès lors qu'ils se constituent en société... Une histoire de coups portés. Pam, pam, pam, c'est toi la sorcière !

Ce n'est pas qu'Isabelle Sorente ne sache vivre et écrire que dans les marges, c'est que cette lectrice de Bachmann, de Lessing, de Blanchot ou de David-Neel, ignore jusqu'à la notion même de centre. Ses « décalages » la constituent. « Je ne suis pas New Age, affirme-t-elle, mais j'ai eu très tôt une vision poétique du monde liée à l'intériorité et à la joie. L'imagination sert à activer la mémoire et j'aime tous les voyages ; les intérieurs aussi. » De fait, son écriture est ancrée dans la matière, les couleurs, les visions. Elle souscrit tout à fait à la phrase de Pascal Quignard selon laquelle il n'y aurait que deux écrivains : les musiciens et les peintres. Elle est peintre (« d'ailleurs, je dessine beaucoup quand j'écris »). Chez elle, la joie englobe tout, y compris la douleur. Elle est avant tout une amoureuse de la vie, de ses formes, tours et détours. Bien sûr, le rêve, la psychanalyse ne sont jamais très loin. Et lorsqu'on lui demande si finalement, après tant d'années de recherche et d'écriture, elle est simplement contente de ce Complexe de la sorcière, elle répond après un temps d'hésitation, « je crois que j'ai été bon joueur ». Masculin ou féminin, qu'importe, on ne saurait mieux dire.

Isabelle Sorente
Le complexe de la sorcière
JC Lattès
Tirage: 6 500 ex.
Prix: 20 euros
ISBN: 9782709666268

Les dernières
actualités