Toujours profondément imprégné de l’imaginaire des années 1950, revoici l’auteur des surprenants et formidables 2 sœurs : un roman d’espionnage (Rackham, 2005), Super spy (Futuropolis, 2008) et L’histoire secrète du géant (Futuropolis, 2011). Avec Du sang sur les mains, de l’art subtil des crimes étranges, Matt Kindt signe un vrai-faux polar d’une impressionnante sophistication, son ouvrage le plus ambitieux, hommage à la série Dick Tracy dont il a emprunté à son auteur, Chester Gould, le nom de son héros.
Dans la bourgade américaine de Diablerouge, à la frontière canadienne, l’inspecteur Gould a battu en dix ans un record d’arrestations. Il est devenu une figure de la lutte contre le crime, faisant chuter drastiquement le taux d’affaires non élucidées. Or le voici confronté à une série de criminels singuliers : voleuse de chaises, vendeur de tableaux de Picasso à la découpe, ex-magicien reconverti en pick-pocket, romancière récupérant pour son œuvre enseignes et panneaux indicateurs, photographe porno ou trafiquant de fourrures qu’il va traquer séparément avant que ne lui apparaissent des liens entre eux, liens auxquels lui-même n’est d’ailleurs pas étranger.
Faisant varier son graphisme, en noir et blanc ou en couleurs, procédant par collage et agrégation de coupures de presse et d’incises, Matt Kindt procède par approximations successives. Il rassemble ces affaires étranges et leurs protagonistes dans ce qui s’impose peu à peu, sur le fond comme sur la forme, comme un immense puzzle. Surtout, à travers ce montage très élaboré, dans lequel le lecteur doit d’abord accepter de se perdre avant de distinguer quelques lueurs, il mène une réflexion en profondeur sur l’art, la manipulation et la morale. Symbolisant cette accroche syncrétique, la femme de Gould, Annalyse Gould (sic), tient une galerie d’art qui va servir de réceptacle, en forme de miroir, aux affaires qui occupent le cerveau de l’inspecteur. Du grand art.
Fabrice Piault