Reportage

Imprimer le Goncourt

Rosabelle Cormier, directrice de fabrication. - Photo Photo Marine Durand

Imprimer le Goncourt

L'imprimerie Floch, à Mayenne, a lancé dès la proclamation du Goncourt les réimpressions massives de Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, de Jean-Paul Dubois (L'Olivier). Livres Hebdo a assisté à ce rush contrôlé et anticipé. _ par

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Par Marine Durand,
Créé le 10.11.2019 à 21h40

On s'attendait à trouver une ruche en pleine effervescence, mais c'est dans une ambiance étonnamment sereine que l'équipe de Floch nous accueille, lundi 4 novembre à 11 h 30, dans ses locaux de Mayenne (Pays-de-Loire). « Le calme avant la tempête », résume en souriant la directrice de fabrication, Rosabelle Cormier. À 270 kilomètres de là, l'académie Goncourt et les jurés du prix Renaudot, dans deux salons distincts de Drouant, délibèrent. Sur les quatre finalistes du prix Goncourt, deux romans, La part du fils, de Jean-Luc Coatalem (Stock), et Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, de Jean-Paul Dubois (L'Olivier), sont sortis des rotatives de Floch. L'imprimeur a aussi produit trois des cinq romans en lice pour le Renaudot et s'attend à devoir assumer, à vitesse grand V, des réimpressions par dizaines de milliers.

Le conducteur couleur procède aux corrections sur la couverture de Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon.- Photo PHOTO MARINE DURAND

« Nous avons les capacités pour être réactifs, assure celle qui tient la maison ce jour-là en l'absence d'Hubert Pédurand, le directeur général de la Scop Laballery, auquel appartient Floch. Mais quand le téléphone sonne, il y a forcément un petit coup de stress. » À 12 h 45, ce sont finalement les radios qui annoncent la bonne nouvelle : Jean-Paul Dubois emporte la récompense suprême. Après quelques minutes, Rosabelle Cormier, n'y tenant plus, compose elle-même le numéro de son contact. « Nous terminions le grand cri de joie collectif, répond Marie Harmel, la chef de fabrication du Seuil, propriétaire de L'Olivier. Vous pouvez lancer les réimpressions de 110 000 exemplaires. » Dans ces circonstances exceptionnelles, la signature du bon de commande attendra.

Le tirage supplémentaire en cas de victoire a été convenu il y a plusieurs jours déjà, L'Olivier ayant confié une autre salve de 110 000 réimpressions à CPI. L'éditeur, comme cela se fait fréquemment quand un auteur part favori, a fait imprimer dans la semaine 20 000 couvertures d'avance, qui permettront de « rouler » le Goncourt un peu plus rapidement. Le fichier du bandeau « Prix Goncourt 2019 » a été envoyé dès le jeudi précédent par la fabrication du Seuil, mais pas imprimé avant le verdict, question de superstition plus que de coût.

40 tonnes

Les prix littéraires impliquent une série d'arbitrages logistiques importants. « Si on attend d'être fixé pour lancer la machine, on ne peut pas livrer les ouvrages dans des temps raisonnables », souligne Olivier Nora, le P-DG de Grasset, qui a remporté le Grand Prix du roman de l'Académie française pour Civilizations, de Laurent Binet. Dans les jours qui précédent les proclamations, les services de fabrication, de diffusion et de distribution de l'éditeur établissent, en lien avec l'imprimeur, des hypothèses de tirage, suivant des grilles régulièrement revues. Laize, grammage, à chaque ouvrage correspond un type de bobine. « Les deux enjeux, ce sont le papier et le planning. Il faut avoir le bon papier au bon endroit car on ne peut pas bloquer tout le monde, explique Pascal Lenoir, directeur de la production de Gallimard, bien décidé à ne pas dévoiler sa tambouille interne. Mais il faut aussi faire attention à ne pas se retrouver avec du stock sur les bras. » Faut-il acheter un office spécial ? La question de la rentabilité se pose, pour des prix littéraires moins vendeurs qu'un Goncourt.

Chez Floch désormais, on s'affaire. Tandis que l'un vérifie que les 40 tonnes de papier nécessaires sont bien disponibles dans les entrepôts, l'autre programme avec le diffuseur les premiers rendez-vous de livraison. Isabelle Livet, la chef d'atelier, appelle un par un les membres de son personnel, mobilisé en renfort. Une dizaine d'intérimaires envoyés par Manpower viendront dès la fin d'après-midi compléter les effectifs. Ils seront sollicités principalement pour poser les bandeaux une partie de la nuit, en parallèle des machines dédiées.

Rosabelle Cormier mettra comme tout le monde la main à la pâte, pour plier les bandes rouges sur les couvertures bleu ciel et permettre que 26 000 livres quittent l'entrepôt dès le soir même. Mais pour l'heure, la directrice de fabrication est encore dans l'attente d'un coup de fil pour le Renaudot. Qui ne viendra jamais, et pour cause : le prix rival du Goncourt a finalement été attribué à Sylvain Tesson pour La panthère des neiges, qui n'a jamais figuré sur la liste. Dans ces cas-là, l'éditeur doit savoir réagir. Gallimard a demandé 200 000 nouvelles impressions à Normandie Roto, qui se partage le marché avec Floch et CPI. Dans l'urgence, l'imprimeur a pu puiser dans les stocks réalisés en prévision de la rentrée littéraire d'hiver, pour absorber le Renaudot ainsi que les réimpressions de Par les routes, de Sylvain Prudhomme, consacré le lendemain, mardi 5 novembre, par les dames du Femina. Floch, comme ses concurrents, reste sur le pied de guerre alors que les prix Décembre et Médicis devaient encore être décernés les 7 et 8 novembre, après notre bouclage. Fin de la saison prévue le 13 novembre, avec le prix Interallié.

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