Ça ne changera jamais. Au rayon des romanciers, Jean-Paul Dubois en connaît un bout. Question moins de savoir-faire que de capacité d'incarnation, d'offrir à ses personnages dans un dévoilement infiniment subtil une histoire, un passé, un présent, pas de futur, des sentiments, du chagrin et le souvenir de la joie. Question de sentiment géographique, de territoire qui est aussi essentiellement romanesque. On retrouve ici, dans ce magistral nouveau roman, Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, quelques-uns de ceux-là : Toulouse, le Canada, l'horizon américain et aussi, plus inédit, le Danemark. Et puis l'hiver, qui bien entendu, est plus qu'une saison.
De quoi est-il question ? Comme toujours chez Jean-Paul Dubois, d'abord d'un homme, Paul Hansen (mais que le lecteur se rassure, il y aura aussi, comme toujours chez Dubois, une femme, un chien...). Il est incarcéré depuis deux ans à la prison de Bordeaux à Montréal, pour des faits qui ne se révéleront que peu à peu au fil des pages. Il a pour voisin de cellule, dans une promiscuité souvent embarrassante, un Hell's Angel meurtrier et ultra-violent, mais attaché à son compagnon d'infortune comme un chien d'attaque peut l'être à son maître. Paul se souvient de comment tout a fini par basculer vers le désastre. Il y eut une enfance toulousaine entre un père pasteur danois et une femme très (trop ?) belle, qui après la mort accidentelle de ses parents prit la direction d'un cinéma d'art et essai. Paul fait ses humanités dans les salles obscures tout en observant le couple baroque formé par ses parents se déliter peu à peu (la programmation en ces années libertaires du film Gorge profonde portera le coup de grâce aux deux époux). Adieu donc, parents aimants, voyages à travers l'Europe dans une NSU défaillante et souvenirs heureux de séjours estivaux au Danemark. Le père ne tarde pas à se réinventer de l'autre côté de l'Atlantique, prêchant dans une ville vivant de l'exploitation de mines d'amiante. Paul le rejoindra, puis mènera sa propre vie au Canada, devenant l'homme à tout faire d'une vaste résidence, « L'Excelsior », réparateur de robinet comme consolateur des âmes. De temps en temps, il rejoint Winona, la femme qu'il aime et qui l'emmène parfois au-dessus des nuages dans son petit avion. Ces choses-là, le bonheur, n'ont qu'un temps et mènent parfois à la prison de Bordeaux en curieuse compagnie.
Tout ce qui fait la puissance romanesque de Jean-Paul Dubois est là, dans ce livre, comme elle l'était déjà dans Kennedy et moi (Seuil, 1996), Une vie française (L'Olivier, 2004, prix Femina) ou La succession (L'Olivier, 2016). C'est-à-dire l'attention portée à ces gens de rien, sans jamais aucun misérabilisme, et même avec une tendre ironie, la capacité à raconter leurs histoires par des tours et détours qui n'égarent jamais le lecteur, mais ne font que l'attacher à ces pauvres héros envapés. Plus ça va, plus il convient d'oublier chez Dubois le lecteur de Brautigan ou Carver, dont il garde l'humanisme prégnant, tout en développant une manière romanesque désormais absolument singulière. Il croit aux gens, il croit aux histoires, il croit surtout que les mots seuls peuvent réconcilier (consoler ?) les uns et les autres.
Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon
l’Olivier
Tirage: 35 000 ex.
Prix: 19 euros ; 252 p.
ISBN: 9782823615166