Romancière, Anne Guglielmetti est aussi traductrice de livres d’art et d’architecture. Ce n’est donc pas un hasard si Les pierres vives commence dans une abbaye en travaux en 1082, sous le règne de Guillaume le Conquérant. Le duc de Normandie favorisait l’implantation ou l’agrandissement d’édifices religieux, comme cette abbaye de Saint-Evroul, en pays d’Ouche, dans le Perche, au moment où la communauté bénédictine était dirigée par l’abbé Mainier, un homme déterminé. Après une période maigre, l’argent se met à affluer, surtout depuis que Guillaume est devenu roi d’Angleterre.
En 1082, vit à Saint-Evroul un jeune novice, Sigéric devenu Benoît, orphelin recueilli dans la forêt avec sa sœur, qui se fait remarquer par sa vivacité d’esprit. Une certaine sauvagerie, aussi. Il devient le fils spirituel de l’abbé, et l’apprenti copiste le plus doué de tout le scriptorium de l’abbaye. "Un oiseleur de lettres", un illuminator. Mais Benoît, grandissant, a sa part d’ombre. Que va-t-il faire dans la forêt, quand il y fugue ?
C’est là son secret, son remords aussi, et il le portera de longues années, jusqu’à ce que, recueilli mourant dans le sud des Pouilles par une jeune et noble Normande, il se réconcilie avec lui-même et avec l’amour, et, on le suppose car la fin du roman nous laisse dans l’incertitude, renonce à ses vœux monastiques. Entre-temps, il aura quitté Saint-Evroul pour l’abbaye de Venosa, sera devenu carrier, et aura même envisagé de partir pour la croisade en Terre sainte prêchée par le pape. Une lettre, du prieur Odon, viendra lui rappeler son passé, quelques feuillets de parchemin qu’il conservera toujours sur lui.
Servi par une écriture inspirée, Les pierres vives est un roman d’initiation, la célébration de ce que l’homme est capable de créer de ses mains, et qui franchit les siècles. Aujourd’hui, Saint-Evroul, en ruines romantiques, est le rendez-vous favori des jeunes mariés des environs. Cela doit réjouir l’abbé Mainier. J.-C. P.