Rudyard Kipling (1866-1936), l'auteur illustre de Kim et du Livre de la jungle, entre autres, prix Nobel de littérature en 1907, fut et demeure l'un des écrivains les plus admirés dans son pays, la Grande-Bretagne, mais il n'y a jamais été aimé comme Byron, ou Oscar Wilde. Trop entier, colérique, snob, donneur de leçons, ayant les journalistes et les biographes en horreur, sans compter sa haine des Allemands, laquelle eut pour effet bénéfique de le rendre antinazi dès la montée du danger Hitler, son antisémitisme, une violence et des excès qui iront s'aggravant au fil du temps. Sa seule excuse, s'il fallait que la postérité lui en trouve une, outre les longues années de souffrances qu'un ulcère lui occasionna, mais « never explain, never complain », n'est-ce pas, entre gentlemen, serait dans la mort de son fils chéri John, le 27 septembre 1915, à Loos, non loin de Lille, dans les tranchées. Il avait 18 ans et six semaines. Il s'était engagé, en dépit de sa faible constitution et d'une terrible myopie congénitale, dans les Irish Guards, sur recommandation d'un père à qui il voulait à tout prix faire honneur. Par son courage, à défaut d'être brillant. Ce pourquoi Kipling père s'est doublement vécu comme responsable de cette mort. Le narrateur du roman de Pierre Assouline écrit, à propos de ce drame : « Une part de lui était morte. »
Car si, en biographe expert, Pierre Assouline a parfaitement documenté et sourcé son livre, il a adopté le point de vue d'un autre sur le grand homme, lequel le replace sans cesse en perspective. Un certain Louis Lambert, modeste professeur français qui a la chance de faire la connaissance de Kipling avant la guerre, de nouer avec lui une sorte d'amitié (il fut même un temps le précepteur de John), et de le fréquenter encore jusqu'à la fin de sa vie. Lambert admirait en particulier le plus illustre poème de Kipling, If..., souvent mal compris, mal interprété et, selon lui, mal traduit, notamment par André Maurois, à qui nous devons la version française en alexandrins, une « belle infidèle », et rêvait que le Maître lui accorde la permission de le traduire à son tour, fidèlement. Ce qui se fera.
Et puis, en 1941, c'est à son propre fils, John également, engagé à vingt ans dans les Forces françaises libres, que Lambert, à Westminster, raconte toute cette histoire devant la tombe de Kipling, et lit sa traduction d'If... La boucle est bouclée, et le lecteur français redécouvre un Rudyard Kipling passionnant, et, tout compte fait, attachant.
Tu seras un homme, mon fils
Gallimard
Tirage: 25 000 EX.
Prix: 20 euros ; 304 p.
ISBN: 9782072791628