Dans le petit monde littéraire qu’il m’arrive de frôler, il y a les classiques : le salon du livre (de Paris, de voyage, de gastronomie, du Figaro , etc), les cocktails (depuis que j’ai arrêté de boire je n’y vais plus ; je n’y allais pas avant non plus car je suis incapable d’engager la conversation avec quelqu’un que je ne connais pas) et les enterrements. Cette coutume, souvent triste, peut être gaie à l’occasion. Je me souviens encore de la colère, roulant comme un torrent provençal sous l’orage, d’Yves Berger à une rentrée de septembre après l’enterrement d’Hervé Bazin au mois d’août: « Vous vous rendez compte : il n’y avait ni Gallimard, ni X, ni Y. (suivait une liste d’éditeurs concurrents de Grasset). Après ce qu’il a fait pour eux (sous-entendu tous les Goncourt attribués par l’académie qu’il présidait). Je vous le dis, Christian, ne mourez pas en été et, surtout, ne vous faites pas enterrer en province !… » Il y a quelques mois une amie attachée de presse a été frappée par un deuil. Famille, amis, éditeurs, auteurs, critiques remplissaient l’église. Que l’on croit au ciel ou que l’on n’y croit pas, les moments de silence qui rythment ce genre de cérémonies imposent ou proposent examens de conscience et réflexions sur la dureté du temps qui passe, sur la futilité des honneurs. Les plus vieux s’observent à la sortie, immortels ou pas, en paraissant se demander : et maintenant à qui le tour ? Dans le petit monde germanocatin, c’est le pire. Ni fleurs, ni couronnes, ni champagne. Pour être honnête, je me demandais si Paul et Jacques (*) seraient là. Pourquoi ? Parce que quelques temps auparavant j’avais surpris une conversation qui avait fait mon éducation des mœurs éditoriaux les plus fins. Plongés dans leur fauteuil, l’éditeur et deux de ses auteurs s’interrogeaient sur cette attachée de presse. « Il paraît qu’elle s’en va ? » demandait Paul, un des « auteurs ». « Ouais » répondait, gêné, l’éditeur. « Ben pourquoi ? » demandait le curieux. « Elle en a marre. Veut faire autre chose » répondait son patron. « Elle a qu’à aller faire ses 35h comme caissière chez Monoprix, elle verra ! », clamait l’auteur qui mène une vie terriblement difficile sous son parachute en or massif. « Ou chez Olida ! » éructait Jacques, l’autre « auteur » écrasé par des déjeuners trop copieux et des dîners trop arrosés. L’élégance est restée à l’éditeur qui, sans contrer ces goujats, paraissait sincèrement soucieux pour sa collaboratrice. Jacques est arrivé à la fin des obsèques, et s’est fait remarquer au fond de l’église en lançant une plaisanterie. Dans la restauration on est bon vivant. Pour les avoir rudoyées plus d’une fois, je voudrais rendre hommage à toutes ces attachées de presse renvoyées dans les cordes par les journalistes, pressurées par les éditeurs, maternant des auteurs infoutus d’aller seuls à une émission de télévision, chargées de trouver une réservation de train « parce que le salon n’est pas chauffé » (traduisez : l’auteur n’a pas fait une signature depuis le matin) et autres travaux d’enquêtes pour retrouver un auteur qui s’est trompé de lit après une soirée arrosée dans la boite de la sous-préfecture. Quand les mêmes auteurs « caftent », disons, au hasard, une ex-idole des jeunes, qui écrit à son éditeur pour dénoncer celle qui n’a pas su défendre son livre alors qu’il ne vend plus aucun livre, même à la sortie des écoles, ou le grand écrivain qui, après avoir menacé de changer d’éditeur si « son » attachée de presse prenait sa retraite, prend contact directement avec celle qui lui succèdera dans quelques mois sans même dire au revoir à sa « préférée ». Merci à Anne, Joëlle, Hélène, Lydie, etc. Et à l’amie éplorée, maltraitée, j’aurais voulu dire ces quelques mots tirés de « Vie de la petite morte » qui clôt les Vies Minuscules de Pierre Michon à qui le titre de ce blog veut rendre hommage : « Il faut en finir. Nous sommes en hiver ; il est midi ; le ciel vient de se couvrir uniformément de bas nuages noirs ; tout près, un chien pousse à intervalles réguliers ce cri lent, très sournois et comme de conque marine, qui fait dire qu’il hurle à la mort ; il va peut-être neiger. Je songe aux gais jappements des mêmes chiens, les soirs d’été, lorsqu’ils ramenaient les troupeaux dans les flaques de clarté ; j’étais enfant, la lumière l’était aussi. Je m’épuise en vain peut-être ; je ne saurai pas ce qui s’enfuit et se creusa en moi. » (*) comme dans tout bon écho « people » divers ou compte-rendu de bagarres d’après match du PSG, les prénoms ont été changés.