C’était il y a trois ans. Un premier roman, Les loups à leur porte, puissant, porté par la force du récit de genre, entre thriller et mauvais rêve, venait heureusement déranger les allées trop harmonieuses des jardins littéraires à la française. Son auteur? Jérémy Fel, un ancien libraire et scénariste de court-métrage qui manifestement avait lu et vu mieux que personne les œuvres de Stephen King et de David Lynch. Avec Helena, à l’ambition plus vaste encore, Fel fait preuve d’une maîtrise narrative et d’une capacité d’incarnation peut-être sans commune mesure en France parmi ses coreligionnaires romanciers. Le lecteur y retrouvera non seulement quelques éléments et personnages épars issus des Loups à leur porte, notamment une maison, mais surtout la sensation d’être délicieusement plongé dans un lent, nocturne et merveilleux cauchemar.
Ce roman de la "monstruosité" familiale, situé dans le temps et l’espace durant un implacable été dans le Kansas, est celui de trois personnages, chacun égaré sur les chemins de sa folie, de son désir, de son chagrin. Il y a là Norma, une mère nécessairement "excessive" qui élève tant bien que mal ses trois enfants en réduisant pour eux le rêve américain aux concours de "mini miss" et autres sottises. Il y a aussi Hayley, qui vit seule avec son père depuis que sa mère a trouvé la mort dans un accident de voiture, dont l’univers se partage entre celui de Blanche-Neige et des films de Larry Clark, et qui, en chemin pour un tournoi de golf en Californie, va rencontrer quelque chose qui pourrait être son destin… Enfin, Tommy, un garçon de 17 ans qui par ennui, fascination du vide et de la douleur, celle que l’on ressent et celle que l’on s’inflige, s’approchera de l’extrême limite du mal. Pour ce qui est d’Helena, qui offre son titre au volume, on laissera le soin au lecteur de découvrir, à la toute fin du livre, son rôle dans cette ténébreuse affaire.
La violence, dans sa beauté comme son horreur, est toute l’affaire de Jérémy Fel. Helena est une magnifique machinerie romanesque qui lui est entièrement dédiée. On ne peut pas ne pas songer à quelques-uns des grands livres de Joyce Carol Oates qui viennent "braconner" sur ces mêmes terres. Fascination et nuits blanches garanties. O. M.