"Mes amis, nous a confié l’illustre détective belge, j’avais bien dit à Madame Agatha Christie que Poirot est immortel ! Ses petites cellules grises fonctionnent toujours parfaitement, non ?" Sans aucun doute. Le prodigieux cerveau n’a apparemment pas souffert d’être resté si longtemps inactif : depuis 1975, exactement, quand Agatha Christie, pressentant sa propre disparition (l’année suivante), décida de faire mourir son héros dans Curtain - le titre anglais, "Rideau", est meilleur que le français Hercule Poirot quitte la scène -, mettant ainsi un terme à cinquante-cinq ans d’aventures communes (depuis The mysterious affair at styles) et à une des plus extraordinaires entreprises littéraires de tous les temps. Point final ? Plus vraiment, puisque les ayants droit d’Agatha Christie ont autorisé Sophie Hannah, elle-même auteure de romans et de thrillers psychologiques, à écrire une nouvelle aventure d’Hercule Poirot, The monogram murders - parce que le tueur a placé dans la bouche de trois de ses victimes un bouton de manchette portant les initiales PIJ.
Le roman se situe en 1929, alors que Poirot a décidé de se mettre "en hibernation" à Londres, et "en vacances" dans une petite pension de famille, juste en face de son propre immeuble ! Il y voisine avec le jeune Catchpool, son nouvel ami, inspecteur à Scotland Yard peu sûr de lui, et à qui il a décidé d’enseigner tout l’art de mener une enquête. Le malheureux en verra de belles, car Poirot est, on s’en souvient, aussi fulgurant que déconcertant, et piètre pédagogue. Quant à l’intrigue, qui, comme souvent chez Agatha Christie, puise ses origines dans des drames affreux qui se sont produits seize ans auparavant dans le village de Great Holling, elle est savamment complexe, riche en rebondissements et en fausses pistes, en personnages desquels on ne sait trop quoi penser. Sophie Hannah a été très inspirée en inventant Jennie Hobbs, une redoutable manipulatrice. On n’en révélera pas plus, laissant le lecteur patienter jusqu’au 10 septembre, date de la sortie mondiale de ce Meurtres en majuscules tout à fait réussi, à la manière de Viollet-le-Duc construisant une cathédrale gothique.
Réactiver Poirot, c’est une bonne opération commerciale pour ses différents éditeurs, dont Le Masque en France, étant donné les millions de volumes vendus par Agatha Christie à travers le monde. C’est aussi, si l’on en croit Sophie Hannah, une histoire de fan : elle raconte avoir découvert les romans de sa devancière à l’âge de 13 ans, et les avoir tous dévorés en moins d’un an. Reste à savoir s’il s’agit d’un one-shot, ou non. A la fin de son livre, Hannah parle d’une "brève escapade avec Poirot". Mais, si le succès est au rendez-vous, qui dit que, comme nombre de criminels, elle ne récidivera pas ?
J.-C. P.