Qu'y a-t-il dans la tête d'un écrivain ? Dans celle de la romancière et critique de cinéma Hélène Frappat, beaucoup de films et de gens, réels ou imaginaires, souvent les deux à la fois. C'est ce qu'elle raconte dans Le mont Fuji n'existe pas : comment un roman qui devait mettre en scène une galerie de « personnages » est finalement devenu un recueil de microfictions peuplé de « personnes ». Certaines s'invitent dans plusieurs histoires, comme la mère récemment disparue, ou l'amie à qui l'écrivaine a emprunté le titre du roman, point de départ du projet. En mutant et en dévoilant ce processus, le livre devient une sorte d'autoportrait de l'écrivaine à l'œuvre, où elle montre comment se rencontrent, se construisent, se fabriquent ses personnages : un making-of de son cinéma fictionnel. La voilà « vampire », détective, témoin ou actrice de ces récits notés souvent sur le vif dans des carnets, accueillis comme des offrandes. La romancière donne à voir la métamorphose, à force de mélanges et d'emprunts, de transpositions, de brouillage, de fusion.

Ici, la réalité ne dépasse pas toujours la fiction. Il arrive que la fiction précède le réel. Et qu'un personnage inventé s'incarne après coup dans la vraie vie. Comme la nageuse observée chaque été sur une île au large de Naples, qui se révèle avoir tant de ressemblances, une fois abordée, avec celle de la baie de Nice imaginée dans une première version du livre. Devant la caméra d'Hélène Frappat jouent aussi Lidia la prof de yoga polonaise, Valeria de Bologne, Delphine « client-mystère » rencontrée dans un avion, un bienveillant « caïman » de « l'école de sa jeunesse » dans sa retraite normande, Hoëlle « la femme à hommes », un amant musicien, un certain Mister Brown, l'amie d'enfance « floue » dont l'histoire a inspiré le prologue d'un autre livre... Et cette ex-belle-sœur génoise morte que la romancière avait déjà tenté d'introduire dans son roman Inverno, à qui elle rend (ou peut-être prétend rendre) son prénom et son véritable destin. Tout ce monde réuni à partir d'une phrase énoncée par cette amie de retour du Japon, fille d'un « ancien maître du monde » déchu, observé au tout début du livre, au printemps 2015, dans son immense villa de Marrakech, vide et blanche comme un écran avant la projection.