Première récolte. Alors que sort sur les écrans le nouvel anime d'Hayao Miyazaki, Le garçon et le héron, c'est un de ses premiers livres qui paraît enfin en France. Le voyage de Shuna a été écrit au tout début des années 1980, parallèlement à Nausicaä de la vallée du vent, alors que Miyazaki n'avait encore réalisé qu'un seul long métrage, Le château de Cagliostro. Dans sa postface, datant de 1983, Miyazaki explique que l'histoire de Shuna est inspirée d'un conte tibétain dans lequel un prince sauve son peuple en volant des graines de céréales à un roi serpent. Il voulait alors en faire un film d'animation mais ne considérant pas l'histoire assez vendeuse, il en a fait « une sorte d'adaptation visuelle ». Ainsi, Le voyage de Shuna n'est pas à proprement parler un manga, mais plutôt un conte graphique avec beaucoup de récitatifs et fort peu de dialogues, une mise en page libre avec des planches en pleine page ou découpées en deux ou trois grandes cases. On y suit l'odyssée de Shuna, jeune prince d'un royaume à la terre appauvrie et aux récoltes peu fructueuses. Ayant entendu parler d'une contrée où poussent de belles céréales, il décide de s'y rendre afin d'en ramener des graines. Mais son chemin sera long et semé d'embûches : Shuna échappe à des goules cannibales, doit faire face à des marchands d'esclaves et à des êtres divins qui maintiennent les hommes dans l'asservissement en leur fournissant des graines comestibles mais stériles. Shuna fera aussi des rencontres marquantes comme celle de Théa et de sa sœur, jeunes filles qu'il va libérer de l'esclavage.

À travers notamment le thème de l'épuisement des ressources, ce récit initiatique met déjà en avant les préoccupations écologiques et humanistes de Miyazaki que l'on retrouve dans Nausicaä et dans ses œuvres ultérieures. Les personnages principaux possèdent des traits de caractère qui seront présents par la suite chez certains protagonistes de ses anime : Shuna est déterminé et volontaire, Théa est pugnace et indépendante. Miyazaki met également déjà en scène un yakkuru, sorte d'élan domestiqué qui apparaitra plus tard dans Princesse Mononoké. Mais Le voyage de Shuna n'est pas un simple brouillon des œuvres à venir. C'est un récit dur, émouvant, parfaitement abouti. Hayao Miyazaki y dépeint, par ses aquarelles tendres, poétiques et sobres, des paysages arides et désolés mais qu'il sait rendre lumineux, comme pour laisser entrevoir que, contre toute attente et même dans les situations les plus sombres, l'espoir est toujours permis.