Autrefois, au Moyen Age notamment, on appelait l’épilepsie "le haut mal", voire "le mal sacré", avec un mélange de frayeur et de respect, parce que, contrairement à d’autres affections, on ne savait ni en déterminer l’origine, ni la soigner. Son côté imprévisible, également, renforçait l’aspect "maudit" de cette maladie nerveuse chronique, encore mal cernée de nos jours.
Le Patient, le personnage principal du roman de Jérôme Lambert et l’un des "je" de ce récit polyphonique, dont on ne saura jamais le prénom, est épileptique, et il vient d’être frappé d’une crise grave. Son état nécessite une hospitalisation, brève en théorie, afin de mener des examens, de laisser passer les symptômes, mais qui, en fait, va se prolonger pour une durée indéterminée. Alors qu’au début le jeune homme égaye la chambre 14 de son optimisme et de son sourire, pour le plus grand plaisir des soignants, Ellia, Maly, Maxime, tous formidables, dévoués, compatissants, et même de l’un de ses camarades d’infortune, Marco, régulièrement soigné pour de terribles coliques néphrétiques, il finit par baisser les bras. "Je ne sortirai pas", dit-il à un moment.
Parce que, sur son lit d’hôpital, coupé du monde et n’ayant rien d’autre à faire que son introspection, il traverse une autre crise, psychologique, suite à sa rupture avec Roman, qu’il aime encore passionnément. Au début, les visites de cet ex, dont il adorait le blouson et les tatouages, mais qu’il avait quitté brusquement, sans raison, lui faisaient plaisir. Même plus, à la fin. Il est comme ça, le Patient, la fuite, c’est sa méthode. Il s’enfuira même de l’hôpital, mais un malaise vagal l’y ramènera.
A travers ce prisme si particulier, une espèce de huis clos, Jérôme Lambert imagine une belle galerie de personnages esquissés. Roman, sur qui on ne sait pas grand-chose, qui ne se remet pas de toute cette histoire et fait des cauchemars apocalyptiques. Ellia et Maly, les aides-soignantes, qui n’hésitent pas à forcer sur la morphine pour soulager les souffrances des malades, pratique totalement illicite. Maxime, le jeune infirmier de nuit, qui veille avec amour sur ses "Allongés", pas encore caparaçonné par l’habitude. On l’appelle joliment "Cœur de beurre". Ou Marco, amoureux de son "jardin de simples", aménagé dans un coin perdu du parc de l’hôpital, qu’il montre fièrement au Patient. En vain. Celui-ci a rompu avec la vie.
Ecrivain rare, Jérôme Lambert, avec ce troisième roman "pour adultes", explore au plus profond l’âme humaine, mais sans lourdeur aucune. Au contraire. Son style est direct, clinique, imprégné d’humour et d’humanité. Jean-Claude Perrier