Le maître de la traduction des œuvres de Laurence Sterne, Guy Jouvet, est décédé. D’après les éditions Tristram, qui ont publié les œuvres traduites de l’écrivain britannique du XVIIIe siècle, le traducteur s’est éteint jeudi 18 juillet à Fontaine-lès-Dijon (Bourgogne-Franche-Comté), à l’âge de 88 ans.
« L’œuvre complète de Sterne existe sous l’unique plume de Guy Jouvet. Il a voué à sa vie de traducteur à Sterne et contrairement à un traducteur professionnel, il n’a fait que lui, par simple passion et réédition », déclare Sylvie Martigny, co-fondatrice avec Jean-Hubert Gailliot, des éditions Tristram. Dès sa création en 1987, la maison, dont le nom est un clin d’œil à l’une des œuvres de Sterne – La Vie et les Opinions de Tristram Shandy -, a d’ailleurs souhaité redonner vie au travail de cet écrivain précurseur, au même titre que Cervantès ou Rabelais, des fondations du roman moderne.
« Pour Jouvet, Sterne était le modèle absolu de l’écrivain »
« À l’époque, Sterne avait disparu des radars. Personne ne le citait, il était devenu un grand absent au point qu’on ne trouvait plus ses ouvrages traduits dans les librairies françaises », se rappelle Sylvie Martigny. Pour y remédier, les éditeurs font donc appel à Guy Jouvet, découvert grâce à Jean-Michel Rabaté, lui-même universitaire spécialiste de l’écrivain américain James Joyce.
« Il nous a dit qu’il était l’homme de la situation parce que Jouvet avait traduit Sterne depuis toujours, mais pour son propre compte. En tant que professeur de philo, il était passionné par le rapprochement entre philosophie et littérature et par le XVIIIe siècle. Pour lui, Sterne était le modèle absolu de l’écrivain et il se servait régulièrement de lui pour ses cours », raconte la cofondatrice des éditions Tristram.
Si Guy Jouvet tarde à accepter la proposition éditoriale – le philosophe de formation refusait toute contrainte, notamment temporelle -, il finit par céder et réalise en 1998 la traduction du roman Tristram Shandy, paru à l’origine entre 1760 et 1767, et à laquelle il joint « un dispositif de notation extrêmement truculente », commente son éditrice.
Un travail de traduction couronné
En 2004, le traducteur poursuit son œuvre et publie une nouvelle traduction intégrale de l’œuvre, complétée cette fois par Le Roman politique en 2014, puis d’Un Voyage sentimental et du Journal à Elisa en 2017. « En 2014, la traduction de Tristram Shandy est un véritable coup de tonnerre », commente Sylvie Martigny. Au point que les éditions universitaires Garnier/Flammarion décident même de dépoussiérer leur vieille traduction, tandis que Gallimard reprend une version du XIXe siècle pour la remettre au goût du jour.
« Guy Jouvet était un esprit extrêmement libre, quelqu’un qui travaillait comme un forcené et dont l’érudition, la connaissance d’un sujet était extrêmement précise. C’est d’ailleurs ce qu’il soulignait chez Sterne : la liberté absolue de l’écrivain. C’est ce qui comptait le plus pour Jouvet ». Autant de convictions saluées, en 2018, avec l’obtention, pour l’éminent traducteur, du prix Bernard Hœpffner.