La seule vraie question à se poser concernant Le manteau de Greta Garbo, le premier livre de Nelly Kaprièlian, est celle du roman. Non pas en tant qu’interrogation sur le genre, tarte à la crème pour critique et lecteur fatigué, mais parce que, paradoxalement, la fiction, les chausse-trappes du réel, sont au cœur de son projet littéraire.
Résumons. En cause, Greta Garbo, qui poussa cet art du cache-cache entre le réel et la réinvention de soi, jusqu’au sublime, jusqu’au tragique. En décembre 2012, à Los Angeles, vingt-deux ans après sa mort, sa garde-robe fut mise aux enchères. Présente parmi quelques "outsiders" magnifiques venus se réchauffer une dernière fois à ce "denier du culte", Nelly Kaprièlian y fit l’acquisition d’un ample manteau rouge vif qui au fond, n’est pas plus son genre qu’il ne fut celui de la star disparue. Qu’importe, ce qui naquit là, dans la curieuse transsubstantiation qui se révèle alors, c’est moins que ce manteau sera la tunique de Nessus de la journaliste que l’expression d’un "permis d’être soi" englobant tout à la fois son histoire, ses chagrins et l’écriture. Si Garbo, ses mystères, ses exils intérieurs, son vagabondage géographique et sentimental, ont déjà suscité presque autant de livres que de questions (jusqu’à, l’an dernier, le beau Un renoncement de René de Ceccatty, Flammarion), Kaprièlian évite assez brillamment les pièges de cette mythologie un peu facile et ne se laisse pas enfermer dans la dialectique d’une Garbo qui ne se révèle que pour mieux se cacher et finalement, ne se cachera des années durant que pour mieux être révélée… Surtout, elle comprend que son livre n’a d’existence réelle que si elle s’y pose honnêtement (et, osera-t-on écrire, bravement, tant ce livre est attendu au coin du bois par ses confrères), la question de sa place au sein de son "roman". Passent ainsi quelques hommes, pas mal de chagrins, l’enfance, une cité HLM, un plafond de verre que l’on ne franchit jamais tout à fait. Sauf à se réinventer en romancière ou en Greta Garbo. Ce qui, au fond, revient un peu au même. O. M.