"Il faut que ça change", affirme Jean-Paul Capitani, le directeur du développement d’Actes Sud. Sur ce point, les professionnels croisés dans les allées du Salon du livre sont d’accord. Mais changer pour quoi ? La question apparaît vite comme celle d’un nécessaire renouvellement de concept plutôt qu’un changement de localisation. Comme le résume Olivier Cohen, P-DG de l’Olivier : "Le Grand Palais, pourquoi pas, mais surtout pour quoi faire ?" Une option a été posée par Reed pour réserver le Grand Palais en 2016 mais les avis ne sont pas tranchés et évoluent, à l’instar du P-DG d’Albin Michel, Francis Esménard, qui avouait à l’issue du Salon : "J’étais très partant pour le Grand Palais. Mais aujourd’hui, je me pose la question. Je crains qu’on perde le grand public qu’on rencontre ici."

Vincent Montagne, le président du SNE, doit rencontrer Jean-Paul Cluzel (RMN-GP) pour en discuter : "Porte de Versailles, nous disposons d’une surface de stands de 15 000 m2. Au Grand Palais, elle n’est que de 6 000 m2. Et la jauge de la fréquentation se situe autour de 70 000." L’éditrice Liana Levi, qui fait partie de la commission mise en place au SNE pour réfléchir à l’avenir du Salon, décrit deux camps opposés qui symbolisent l’édition à deux vitesses : les groupes, plutôt contre la porte de Versailles, les petits éditeurs plutôt pour. Mais la typologie est plus complexe qu’il n’y paraît. Passage en revue des pour et des contre.

Les pour : retrouver une âme

Interrogé sur France Inter à propos de l’absence de son groupe cette année, Arnaud Nourry trouvait la piste du retour au Grand Palais "intéressante", car pour le P-DG d’Hachette Livre "la porte de Versailles est un immense univers où, parfois, on perd un peu son âme". Le juré Goncourt, Tahar Ben Jelloun, confirme que "Le Grand Palais, c’est plus chic !" et l’éditeur Guillaume Allary, "fasciné" par la verrière, ajoute que "pour les éditeurs étrangers notamment, on a besoin d’un cadre plus séduisant - avec les restaurants qui vont avec". Etonnamment, plusieurs petits éditeurs plébiscitent cette solution, comme Marianne Zuzula des éditions La Ville brûle : "Ici ce n’est pas très sympa. Le Grand Palais ne me fait pas peur car pour les petits éditeurs, il y a toujours la possibilité de faire des stands collectifs."

Pourtant, les partisans du déménagement ne rêvent pas nécessairement du Grand Palais. "Il faut bouger, mais pourquoi pas plutôt pour les Berges de Seine ?", lance Philippe Robinet (Kero), tandis que la directrice d’Albin Michel Jeunesse, Marion Jablonski, confirme qu’"il faut garder l’esprit populaire du Salon. Pourquoi pas la Villette ?"

Les contre : un entre-soi

Le P-DG d’Editis Alain Kouck prend la défense de la porte de Versailles, avec "son public populaire et familial qui correspond à l’ADN de notre groupe. Nous tenons aussi à cette image très diversifiée de l’édition".

Mais c’est surtout le côté élitiste du Grand Palais qui gêne : "Je suis violemment contre, déclare Paul Otchakovsky-Laurens (P.O.L). Je trouve cette idée stupide. Nous avons besoin du public très divers qui se presse porte de Versailles. Au Grand Palais, ce sera le salon de l’entre-soi." Antoine Gallimard, P-DG de Madrigall, ajoute que si "la formule est usée, il faut la repenser sur place, porte de Versailles, quitte à la rendre plus festive, à refaire une nocturne et à baisser les tarifs en rognant sur les marges du SNE et de Reed". Le président du Seuil, Olivier Bétourné, souhaite aussi "rester porte de Versailles, garder un lieu propice à l’ouverture populaire". Le DG de Points, Patrick Gambache, s’inquiète de la réduction de la surface : "A moins de planter des tentes tout autour, on ne pourra pas y faire entrer la diversité de l’édition." Ce que confirme Marion Hennebert (L’Aube) : "Le Grand Palais, aujourd’hui c’est trop petit, on va aller vers une ségrégation financière."

Le retour au Grand Palais semble, pour le libraire Richard Dubois (Gibert Joseph) chargé du stand des Puf, "un fantasme d’une autre époque, avec une tendance à l’élitisme. [Il s’]interroge sur la place et la visibilité que pourront y avoir les petits éditeurs et les régions." Yannick Burtin (Le Merle moqueur), qui tenait le stand Actes Sud, trouve aussi que "ce retour en arrière ne serait pas un bon message à envoyer au public".

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