Qu’est-ce qui fait tarir l’écriture ? La question surgit inévitablement à propos de l’œuvre d’Esther Montandon. Cette auteure suisse, désormais disparue, n’a publié que quatre livres, mais son empreinte semble indélébile. Un homme est dépositaire de ses archives. Il y découvre un trésor inespéré : "Un recueil d’impressions, de pensées, de souvenirs. Une petite sociologie du deuil." C’est par la magie de ce texte inédit qu’on pénètre l’univers de cette femme écrivaine.
Sa voix résonne pour nous conter la difficulté d’enfanter. Un tourment qui a des retentissements sur le couple qu’elle forme avec Jacques. Mais un jour, le miracle arrive. Esther est enceinte. Cette vie qui prend corps dans son corps a été tellement espérée, rêvée… L’arrivée de Louise est célébrée à chaque instant. Tout est étonnement jusqu’à ce qu’un accident vienne tout briser. "Le corps d’une fillette, c’est ce que j’ai pu voir de plus beau. Et de plus intolérable." Tels sont les premiers mots de sa mère, affrontant ensuite la culpabilité, l’incrédulité et la douleur à l’état pur. "Morte. Je répète le mot vingt fois dans ma tête. Je veux lui faire perdre son sens." Il devient au contraire de plus en plus concret.
"Le chagrin est tout ce que je suis capable de faire." Même l’écriture s’est figée dans la glace. Comment apprivoiser la vie, l’absence et l’envie de bonheur ? La douceur de ce portrait, très féminin, contraste avec l’horreur vécue. Epuré, ce roman est d’autant plus surprenant qu’il est signé par l’Ajar, un collectif de dix-huit plumes. On pourrait croire qu’il s’agit d’un simple clin d’œil à Romain Gary, mais cette Association de jeunes auteur-e-s romandes et romands va bien plus loin. Son désir : "Explorer les potentialités de la création littéraire en groupe". Un projet vivace qui va continuer à tracer la vie d’Esther. Impossible d’imaginer qu’elle ne parle pas que d’une seule voix. Kerenn Elkaïm