Après les grandes manœuvres, la consolidation. Alors que l'édition mondiale poursuit pas à pas sa transformation digitale, le classement Global 50 2025, établi à partir des données financières 2024, dresse le portrait d'une industrie qui, si elle reste en pleine reconfiguration, continue d'aller de l'avant et de progresser financièrement.
Publié pour l'ouverture de la Foire internationale du livre de Francfort (du 15 au 19 octobre) par un groupe de médias professionnels comprenant Livres Hebdo en France, Publishers Weekly aux États-Unis, The Bookseller au Royaume-Uni, Bookdao en Chine et Digital Publishing Report en Allemagne, le classement des leaders de l'édition mondiale fait état de mutations profondes, entre consolidation des leaders, revenus records, intégration de l'intelligence artificielle, montée en puissance des modèles hybrides et, plus globalement, bouleversements des frontières du livre.
Changements dans le Top 10
Fait notable : plusieurs changements sont à signaler dans le Top 10 cette année. À commencer par une inversion des deux premières places du classement par rapport à 2024. Thomson Reuters reprend le leadership à RELX, grâce à une progression soutenue de son chiffre d'affaires, qui franchit pour la première fois la barre symbolique des 6 milliards d'euros.
Un renversement en tête du classement qui est une conséquence directe de la course engagée entre les deux géants de l'information juridique, financière et scientifique pour l'intégration de l'intelligence artificielle dans leurs offres. RELX, désormais numéro 2 mondial, conserve un avantage solide dans l'édition académique et professionnelle, secteur qui reste le socle de ses performances.
Plus loin, le retour de McGraw Hill à la bourse américaine, et donc dans le classement (en 7e position), et la progression de HarperCollins de la 10e à la 8e place remodèlent un top 10 mondial stable ces dernières années. Derrière, les autres géants du top 10 continuent, eux, de progresser dans un ordre identique à l'an passé. Bertelsmann et sa filiale Penguin Random House, Pearson, Wolters Kluwer, Hachette (sous l'égide de Vivendi) et Hitotsubashi restent solidement accrochés dans le top mondial.
Le professionnel et l'éducation
À mieux regarder l'ensemble des revenus des grands groupes mondiaux, la tendance reste la même et s'accentue : alors que le livre grand public marque le pas (représentant 14 % des revenus du classement), les éditions scientifique, professionnelle (54 %) et éducative (32 %) dominent toujours. Seuls les plus grands acteurs parviennent à croître, en misant sur la spécialisation et l'expansion technologique. RELX, Thomson Reuters et Wolters Kluwer développent tous des modèles économiques désormais largement numériques, récurrents, et à forte valeur ajoutée.
Chez ces géants de l'édition, jamais une technologie n'avait été adoptée aussi vite que l'intelligence artificielle. Longtemps présentés comme les victimes potentielles de l'automatisation, tous ont saisi la balle au bond et intégré l'IA générative dans l'ensemble de leurs services : Lexis AI chez RELX, assistant juridique CoCounsel chez Thomson Reuters. Ce dernier a dévoilé en outre un plan d'investissement massif de 8 milliards de dollars dans des entreprises axées sur l'IA. Wolters Kluwer estime de son côté qu'à l'heure actuelle 50 % de ses revenus dépendent déjà de produits exploitant l'IA.
Groupes agiles
Le secteur éducatif continue aussi sa mue. Le leader du secteur, Pearson, enregistre une nouvelle baisse de revenus, impactée par la numérisation et la mutation profonde de l'édition scolaire ces dix dernières années. Les nouveaux gagnants sont à chercher du côté de groupes plus agiles, à l'instar de Sanoma en Finlande, Klett en Allemagne ou Cogna au Brésil, qui tentent de redéfinir la chaîne de valeur.
Leur stratégie : poursuivre le développement de plateformes d'édition éducative EdTech [entreprises et startups spécialisées dans les innovations technologiques liées à l'éducation], et acquérir des établissements scolaires, dans des schémas d'intégration verticale complète. Le basculement de la simple édition de manuels scolaires vers des écosystèmes éducatifs globaux, basés sur les souscriptions par abonnement et les services numériques, est plus que jamais engagé. Chez McGraw Hill, leader américain du secteur, le numérique représente désormais 82 % du chiffre d'affaires.
Romance et manga sauvent le grand public
Les éditeurs purement grand public, eux, peinent à suivre le rythme de cette nouvelle donne, et leurs croissances résultent surtout de fusions ou d'acquisitions. À côté, de nouvelles préférences des consommateurs en genre littéraire, comme la romantasy, ou en formats (webtoon, roman graphique, manga), continuent tout de même de s'affirmer, portant le marché vers le haut.
L'essor de cette littérature de genre et de ses déclinaisons transmédia (animes, produits dérivés, ventes des droits d'adaptation pour le streaming...) profite par exemple à HarperCollins ou au groupe japonais Hitotsubashi, et ses marques d'édition Shūeisha et Shōgakukan. Autres exemples marquants : celui de Bloomsbury, porté par le succès de Sarah J. Maas, autrice de fantasy propulsée par BookTok.
Nouvelles frontières, nouveaux acteurs ?
Plus globalement, le classement se révèle être un miroir toujours plus net de la concentration extrême de l'industrie et du fossé grandissant entre méga conglomérats et éditeurs traditionnels. Surtout, il soulève une question qui devient chaque année un peu plus vaporeuse : où commence et où s'arrête l'édition ?
Certains groupes ne se définissent plus comme des éditeurs, mais comme des « médias globaux », des « fournisseurs de contenus » ou encore des « entreprises technologiques ». D'autres, comme le chinois Yuewen, ne publient plus de données assez nettes sur leurs activités liées à l'édition.
Car entre réseaux sociaux, intelligence artificielle, autoédition, abonnements numériques et audio, « sérialisation » animée ou visuelle du livre (webtoons), ou encore formules premium combinées type Amazon Prime, une part croissante de la lecture mondiale échappe aux radars classiques. Et appelle à une redéfinition du panorama de l'édition.