Notre décision de renoncer à la publication de ce livre n’a rien d’idéologique. J’ai dit clairement que publier Eric Zemmour essayiste, comme Albin Michel l’a fait par le passé, au nom de la liberté d’expression, était légitime. Mais le contexte dans lequel il souhaitait voir paraître ce livre change tout : Eric Zemmour voulait imposer une parution en septembre, à la veille d’une période électorale sensible à laquelle il est susceptible de participer, comme cela était évoqué dans les médias depuis des semaines sans que jamais l’intéressé n’ait démenti. En accepter le principe et l’annonce – ce qui devenait urgent avec ce calendrier –, sans avoir lu une ligne du manuscrit qu’il n’avait toujours pas remis, n’était pas envisageable. J’ai donc pris cette décision, que j’assume pleinement, pour protéger la maison et ses salariés. Albin Michel est une maison généraliste et littéraire, accueillant des auteurs de toutes les sensibilités, et j’ai voulu éviter qu’elle puisse se retrouver de facto instrumentalisée au service de visées politiques très éloignées de notre rôle d’éditeur.
Eric Zemmour a évoqué une décision unilatérale...
Nous n’avons pas rompu unilatéralement le contrat, et encore moins sans préavis. Après une rencontre et des échanges avec l’auteur, constatant notre désaccord sur le calendrier de publication, nous sommes convenus que la meilleure solution était qu’Albin Michel renonce à son contrat, qu’il reprenne sa liberté pour ce texte et puisse choisir un autre éditeur. J’ai même accepté dans ce cadre amiable de lui laisser la part d’à-valoir déjà versé à signature, comme il me l’avait demandé.
Que répondez-vous aux partisans d’Eric Zemmour qui ont parlé de censure ?
Je ne peux pas accepter la mauvaise foi consistant à invoquer une quelconque "censure". Le catalogue d’Albin Michel atteste suffisamment de l’attachement de notre maison à la pluralité des opinions et à la liberté d’expression. Francis Esménard [président de la holding du groupe, ndlr] en a toujours fait, avec un courage sans faille, l’étendard de sa maison. J’y suis et y resterai fidèle. Que ceux qui craignent qu’Albin ne cède aux diktats de la bien-pensance se rassurent. Nous avons la chance d’être une maison indépendante, et nous resterons fidèles à notre tradition de liberté de penser et d’irrévérence à l’égard de tous les pouvoirs.