Dans la foulée de cette annonce, Philippe de Villiers, un autre auteur de Lise Boëll, annonçait qu'il quittait son éditeur par solidarité. L'éditrice Estelle Cerutti, qui a été l'assistante de Lise Boëll avant de devenir son adjointe – son "double", décrivait récemment l'auteur Philippe Tournon dans un portrait que nous avons consacré à l'éditrice contestée venue de la jeunesse –, avait elle-même donné sa démission un peu plus tôt, selon une autre source interne. Si l'on ignore encore quelle sera la prochaine maison de ces deux professionnelles expérimentées, et si elles poursuivront une collaboration de vingt-cinq ans, cet épisode est le dernier rebondissement en date du feuilleton qui agite en ce moment le petit monde politico-éditorial.
Contactée, Lise Boëll n'a pas souhaité s'exprimer. Albin Michel, où l'on affiche un certain agacement face à l'ampleur de cette affaire, sur fond de courriers d'avocats et de candidature probable à la présidentielle, a simplement confirmé cette démission récente de Lise Boëll.
Confrontation
Depuis dix jours, l'essayiste d'extrême droite, qui a publié ses cinq derniers livres chez Albin Michel, et sa maison d'édition se renvoient la balle, dans une confrontation dont il n'est pas aisé d'établir les tenants et les aboutissants. Lundi 28 juin, Eric Zemmour a annoncé sur le plateau de l'émission "Face à l'info", sur CNews, avoir reçu une lettre d'Albin Michel l'informant que la maison ne souhaitait pas éditer l'essai qu'il était sur le point de finaliser. Moins de 24 heures plus tard, Gilles Haéri, le président d'Albin Michel, lui répond par communiqué, expliquant avoir eu un "échange très franc" à ce sujet avec Eric Zemmour qui souhaite "s'engager dans la présidentielle et faire de ce livre", dont on ne connaît ni le titre ni le contenu, "un élément clé de sa candidature". Échange aussitôt qualifié "d'imaginaire" sur Twitter par l'auteur, qui a fait parvenir rue Huyghens un courrier de son avocat pour rupture abusive de contrat, et évoqué des "pressions" subies par son éditeur.
Dans la sphère littéraire, la décision d'Albin Michel de renoncer à des ventes conséquentes – près de 500 000 exemplaires vendus du Suicide français, le hit de Zemmour, et autour de 110 000 ventes pour son dernier livre Destin français – a surpris, tout comme la décision d'annuler en juin un ouvrage prévu à la rentrée, et signé par un auteur que Francis Esménard, président de la holding Albin Michel, assumait encore de publier il y a cinq ans dans L'Express. À l'époque, une pétition avait tourné en interne pour protester contre la parution d'Un quiquennat pour rien et la campagne de pub l'accompagnant. Cette fois-ci, selon nos informations, il n'y a pas eu de mobilisation des salariés, et quelques auteurs stars comme Amélie Nothomb ou Bernard Werber ont démenti dans Le Parisien avoir exprimé leur gêne à cohabiter avec un auteur d'extrême droite.
Les avocats dos à dos
Auprès de Livres Hebdo, Me Christophe Bigot, avocat d'Albin Michel, contredit la version du polémiste, qui a été condamné pour "injure et incitation à la haine" en septembre dernier. "Il n’y a eu aucune rupture unilatérale de contrat : une rencontre a bien eu lieu, attestée par des échanges incontestables, au terme desquels un accord a été trouvé avec l’auteur, mis en œuvre ensuite par une lettre qui a d’ailleurs été sollicitée par l’intéressé lui-même. Toute cette chronologie, qui n’a rien d’imaginaire, est confirmée par des éléments de preuves", indique l'avocat.
Il dément aussi les propositions de conciliation qu'auraient formulées l'auteur du Suicide français, dont se fait l'écho le site Actualitté : "Il n’y a aucune négociation, ou aucune discussion en cours entre avocats, et il n’y en a jamais eu", insiste Me Bigot, et "il est totalement injustifié d’évoquer une « rupture à plusieurs millions d’euros ». Non seulement les éditions Albin Michel n’ont commis aucune faute, mais le montant annoncé est totalement dénué de fondement. Et Albin Michel n’a fait l’objet d’aucune pression, de quelque nature que ce soit, ni à l’intérieur de la maison ni au niveau du groupe", précise le conseil.
Gilles Haéri, dans un entretien publié sur notre site, insiste et rappelle que le désaccord vient avant tout du calendrier de publication, que l'auteur a cherché à imposer, dans une tentative d'instrumentalisation : "Nous sommes convenus que la meilleure solution était qu’Albin Michel renonce à son contrat, qu’il reprenne sa liberté pour ce texte et puisse choisir un autre éditeur. J’ai même accepté dans ce cadre amiable de lui laisser la part d’à-valoir déjà versé à signature, comme il me l’avait demandé."
Contacté par Livres Hebdo, Me Arnaud de Senilhes, qui défend Eric Zemmour dans ce dossier, n'a sans surprise pas la même lecture de la situation. "La liberté de l'éditeur consiste à signer ou non le contrat. Une fois que le contrat est signé, à moins qu'un accord écrit formalise la décision de l'un et de l'autre de ne plus aller jusqu'au bout, l'éditeur doit respecter son obligation", affirme le conseil parisien.
À ses yeux, la lettre fournie par l'éditeur à son client, tout comme les rendez-vous et discussions informelles qui l'ont précédée, n'ont aucune valeur juridique. D'autant que le livre, quasiment terminé et dont il y aurait déjà des projets de couverture, est programmé depuis longtemps. "Cette lettre n'invoque pas la date de publication comme raison à ce refus de publier, mais bien l'intention d'Eric Zemmour de se porter candidat, poursuit Me de Senilhes. C'est une résiliation unilatérale, c'est pourquoi nous demandons dans l'assignation un dédommagement de plusieurs millions d'euros, qui correspond à la réparation du préjudice moral, à l'intégralité de l'à-valoir qui est dû à l'auteur, et à ce que ce livre aurait rapporté à Eric Zemmour."
Ses soutiens se structurent pour sa candidature
Dans quelle maison Eric Zemmour publiera-t-il son prochain ouvrage ? Pour l'instant, personne ne se précipite pour confirmer. Ce ne sera pas chez Editis, propriété de Vivendi, qui possède également le groupe Canal + et la chaîne CNews, où officie l'essayiste. La direction de la communication l'a dit dès le 29 juin, et nous l'a encore confirmé juste avant cet article. Pas non plus aux éditions de L'Observatoire, comme certaines rumeurs l'évoquaient. "Je ne sais pas d'où viennent ces bruits", indique Muriel Beyer, la fondatrice de la maison et directrice générale adjointe du groupe Humensis. "C'est malheureusement possible qu'Eric Zemmour n'ait pas d'éditeur pour septembre", indique pour sa part Me Arnaud de Senilhes.
Dernière hypothèse qui circule : la possibilité, pour Eric Zemmour, de créer sa propre structure éditoriale, pourquoi pas adossée à la diffusion-distribution d'Editis. Cette forme d'autoédition est en tout cas ce que préconise le Conseil constitutionnel, qui recommande aux candidats de publier leurs ouvrages à compte d'auteur, comme le rappelle le site créé par le philosophe Michel Onfray (un autre auteur Albin Michel), Front populaire.
La stratégie d'Eric Zemmour, autant dans la tentative de victimisation alors que les échanges semblent s'être déroulés à l'amiable avec Albin Michel, que dans le refus de confirmer ses ambitions présidentielles, pose question. Depuis des semaines, le journaliste laisse sciemment monter la rumeur de sa candidature, accréditée par les enquêtes publiées par L'Express, France Info ou L'Obs. Comme l'indiquait cette semaine le service Checknews de Libération, entre "Génération Zemmour", "Les Amis d'Eric Zemmour" et "L'Association de financement du parti Les Amis d'Eric Zemmour", ses soutiens se structurent en coulisses. Le journaliste espère peut-être garder, le plus longtemps possible, sa place quotidienne sur le plateau de CNews, et sa chronique dans Le Figaro ? Son avocat rappelle qu'il n'est toujours pas candidat.