La vie retrouvée. Pour sa biographie de Charlotte Delbo (Grasset, prix Femina essai 2016), prodigieuse immersion dans la vie et l'œuvre de la résistante déportée à Auschwitz-Birkenau, Ghislaine Dunant avait choisi comme sous-titre La vie retrouvée. Ses précédents textes - L'impudeur, La lettre oubliée, Cènes (Gallimard, 1989, 1993, 2001), Un effondrement (Grasset, 2007) - semblaient cheminer vers cette prouesse entremêlant réflexion sur l'Histoire et récit intime. Au micro de Laure Adler, l'écrivaine affirmait en 2016 que « l'écriture permet de traverser la mort, d'aller dans le plus ténu du rapport à la vie, car elle a la faculté de remettre de la vie là où le lien s'effrite, s'effondre ». À la lecture des ouvrages cités ci-dessus, on comprend que l'écriture a effectivement ce pouvoir. Mais comment y revenir après avoir passé plusieurs années dans Auschwitz et après, l'œuvre indépassable de Charlotte Delbo ?
Grâce à la fiction. En juin 1964, au cœur des paysages désolés de Tenerife, une femme et un homme marqués par la guerre se rencontrent. Une parenthèse insulaire pendant laquelle Louise et Nathan se livrent l'un à l'autre, d'âme à âme plutôt que de corps à corps. La rencontre ne devait pas se dérouler ainsi. Pierre, le mari de Louise et ancien élève de Nathan, en était l'initiateur et devait y participer jusqu'à ce qu'un drame l'oblige à partir pour Madrid. De Louise, Nathan connaissait déjà le visage. Peu de temps après son mariage, Pierre lui avait envoyé un portrait de sa jeune épouse. « À l'époque, il avait regardé longuement ce portrait, fasciné par la douceur des traits de ce visage, le charme qui se dégageait d'un sourire à peine esquissé et d'une pointe de mélancolie dans le regard [...]. La photo n'était pas restée longtemps sur son bureau. Un des soirs suivants, il l'avait trouvée en petits morceaux au milieu de sa table. Il avait compris, Esther n'avait pas supporté ce portrait. Puis il avait oublié. » Esther, l'épouse de Nathan, était musicienne. Internée dans une clinique, elle ne joue plus. Depuis Tenerife, Nathan lui envoie une lettre tous les deux jours, tandis que Louise écrit à ses trois filles. À l'heure de rejoindre Nathan pour dîner, Louise rêve d'un couteau « pour couper le lien qui l'attache à chacune de ses filles ». Le lendemain, lorsque Pierre lui demande au téléphone ce qu'elle a pensé de Nathan, Louise élude. « Elle avait l'impression que ça ne le regardait pas. Il ne l'avait pas vu depuis longtemps, comment pouvait-il imaginer quel homme il était aujourd'hui ? Elle, elle avait passé la soirée avec Nathan, et Pierre n'avait jamais parlé de lui toutes les années antérieures. L'homme qu'elle a rencontré, qui lui a parlé, c'est un sujet qui ne regarde qu'elle. »
Le désir et la transgression sont au cœur de l'œuvre de Ghislaine Dunant. Un amour infini en offre une nouvelle variation, au rythme d'une plume maîtrisant l'art de ralentir le temps pour offrir au lecteur de savourer chaque mot, chaque détail, chaque infime inflexion qui, à tout moment, peut faire basculer ce roman sous tension. La blessure d'Hiroshima se mêle aux fêlures intimes, l'éclat de la mer aux ombres de la guerre, et la trajectoire d'un astrophysicien exilé aux États-Unis à celle d'une mère de famille, tous deux désarçonnés par cette parenthèse inattendue, celle de la vie qui continue, en dépit de tout.
Un amour infini
Albin Michel
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 176 p.
ISBN: 9782226498687