Sur la Révolution culturelle, l’une des pires entreprises criminelles à grande échelle du défunt XXe siècle, qui fit en Chine des millions de morts au nom du président Mao, on croyait avoir déjà tout lu. Notamment des témoignages de victimes et quelques confessions de bourreaux. Mais rien de semblable au livre de Luo Ying, avec son titre terrible, Le gène du garde rouge, comme si ce statut avait été, chez lui, inné et non imposé par les circonstances. Ce qui implique que, même s’il stigmatise cette "époque pourrie" qu’il a vécue, il a conservé au fond de lui une part de violence, appliquée au monde des affaires : Luo Ying, de son vrai nom Huang Nobo, installé à Los Angeles, est devenu un businessman important, fier de répéter, dans son livre, qu’il est classé dans la liste Forbes des hommes les plus riches de la planète. Les affaires, c’est la guerre par d’autres moyens.
En 1966, quand débute la Révolution culturelle, Nobo a 10 ans. C’est un fils de "privilégié", dont la famille est persécutée par les gardes rouges : le cadavre de son père est jeté aux ordures, sa mère réduite à la mendicité. Le jeune garçon, qui n’a à l’évidence pas le choix s’il veut survivre, va se laisser embrigader par ses ennemis, dont il va vite devenir l’un des éléments les plus zélés. Il commet des exactions, s’acharnant sur le vieux directeur de son école qui l’a réprimandé, sur un vieux propriétaire foncier, ou encore sur Liu, le forgeron, fusillé. Profitant de l’impunité que lui procure sa fonction de garde rouge, il va devenir un vrai voyou, voleur de livres, de disques, s’élevant dans la hiérarchie à la faveur des luttes intestines entre factions, des rébellions qui secouent le pays, des troubles causés par des ouvriers ou des mineurs en colère, ce peuple même au nom de qui le Grand Timonier prétend gouverner et dont il veut faire le "bonheur" à tout prix.
Après la mort de Mao, en 1976, Luo Ying entrera à l’université, puis travaillera dans une maison d’édition dont il assurera la gestion musclée. Ensuite, il deviendra poète (Lapins, lapins, son premier recueil en France, est paru au Castor Astral en 2013) et mettra en vers sa confession, glaciale parce que sans fard et presque nostalgique : "Je remercie la Révolution culturelle de m’avoir forgé le caractère, je remercie mon pays natal d’avoir laissé mûrir le petit garde rouge", écrit-il en novembre 2012, de passage à Pékin. J.-C. P.