Lieve Joris a une boussole au bout des doigts. Elle a bourlingué à travers l'Afrique et au Moyen-Orient. Qu'est-ce qui la pousse à voyager autant ? Jusqu'à présent, l'auteure belge décrivait les petites gens qui croisaient sa route. Grâce à sa curiosité, sa générosité et son sens de l'écoute, cette femme passionnée a récolté des sésames, traduits dans le monde entier (Mon oncle du Congo, Les portes de Damas, Ma cabine téléphonique africaine, Actes Sud, 1990, 2001, 2011).
Partir, est-ce fuir ? Joris y répond dans ce récit, très personnel, sur ses origines. « J'étais non seulement une enfant de Bobonne, mais aussi une fille de la campagne. » Bobonne, cette figure quasi maternelle de son enfance, grâce à laquelle « [elle] [s]e sens aimée etprotégée ». En quoi cette femme l'a-t-elle façonnée ? Un événement inopiné l'oblige à replonger dans le pays de l'enfance : l'accident de son frère Fonny, autrefois adulé. Tombé dans la drogue et la déchéance, il mène une existence chaotique.
«Il se sentait né pour devenir un héros », alors pourquoi a-t-il dérapé à ce point ? Une partie des siens l'ont rejeté. Fonny est devenu un poids, mais là, Lieve se sent obligée de rejoindre le clan. De multiples souvenirs émergent brusquement. « Je suis une fillette heureuse. Je grandis dans ce nid en continuelle expansion. » Soit neuf enfants qui se suivent, mais ne se ressemblent pas. Qu'est-ce qui les unit ? Leurs parents, parfois désemparés. Si Lieve s'est construite à contre-courant de sa mère, elle rend hommage à ce père « renfrogné », qu'un proche qualifiait de « philosophe, voyant le monde dans un grain de sable».Fonny incarne précisément celui-ci. Que révèle-t-il de la tribu ? Pourquoi tous les membres vivent-ils suspendus à son sort ? « Tu dois te libérer de ta famille », lui recommande un petit ami. « Partir en voyage, c'est ressentir la joie que chaque tournant ouvre un autre paysage. » Mais Lieve a beau aller au bout du monde, c'est un objectif illusoire. Neerpelt et ce frère torturé lui reviennent à la figure, tel un chapitre qu'elle ne parvient pas à clôturer. Les liens familiaux, l'envie de sauver autrui, le manque de fidélité aux siens ou à soi-même animent ses confidences. « C'est bien beau, célébrer la vie, ne pas laisser les autres me voler ma richesse intérieure », mais comment la préserver ? Joris a toujours rejeté les moules. Où se situe sa place ? Peut-être dans cette zone floue entre ses racines et les contrées visitées. Ne s'agit-il pas avant tout de s'ancrer en soi ?
Fonny - Traduit du néerlandais par Marie Hooghe
Actes Sud
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 22,50 euros ; 320 p.
ISBN: 978-2-330-12167-9