L'homme sans qualité. Il est tout à fait inutile, ainsi que trop de gens le font, de dire ou de penser du mal de Baudouin Villard : il s'en charge très bien tout seul. À tel point que l'on peut se demander si ne se mêle pas à cette autodépréciation comme une pointe de coquetterie, un dandysme à rebours. Il faut dire que les évènements, si l'on peut appeler ainsi les infortunes successives de cet homme d'une quarantaine d'années, semblent tout de même lui donner raison. Il enseigne la philosophie à des élèves qui n'ont en commun avec lui que leur indifférence, dans un lycée catholique de la petite ville balnéaire où il vit, faute de parvenir à exister vraiment. Il a même dans un passé relativement récent publié quelques livres dont certains ont obtenu un succès que l'on qualifiera d'un peu plus que d'estime. Seulement voilà, cela aussi est au mieux de l'ordre du souvenir, au pire du regret. Par ailleurs, ce grand type plutôt joli garçon et encore assez occupé par la question de ses amours a été quitté par sa première femme partie pour une autre et s'apprête à l'être par la seconde qui lui préfère manifestement un magnat de l'immobilier local, riche comme Crésus. Ces temps ne sont pas pour lui, mais il se demande ce qui pourrait désormais l'être... À part peut-être un voisin nonagénaire, ancien des services secrets ayant travaillé successivement pour Israël et la France, sa fille médecin pas insensible aux charmes de ses déroutes personnelles et un psychiatre qui pronostique chez lui le syndrome d'Alceste, trouble de l'humeur menant tout droit à la psychose la plus radicale. Bref, mauvaise passe, sale affaire, fermez le ban.
Frédéric Schiffter a publié plein de (bons) livres, il vit à Biarritz, a enseigné la philosophie, ne déteste pas afficher un détachement un quart nihiliste trois-quarts dandy, et ne se cache pas de n'aimer guère les idoles et idéologies de notre époque. Alors, Baudouin Villard c'est lui ? Minute. Chez Schiffter, si je n'est pas forcément un autre, c'est d'abord un jeu. Et puis, s'il a consenti avec Rétrécissements, conte moral ironique et gaiement désespéré, à écrire son seulement deuxième roman (parmi près de vingt livres), ce n'est pas pour se livrer aux joies perverses d'une autofiction dont on suppute qu'elle n'est de toute façon pas son genre de beauté. Ce qui le serait plutôt, ce serait de masquer avec élégance la gravité fondamentale de son propos par des sarcasmes sur le tout qu'est notre rien. C'est un truc de gosse courageux et blessé : se marrer pour masquer sa douleur.
Rétrécissement
Cherche Midi
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 19 € ; 192 p.
ISBN: 9782749177625