Il était au moins aussi Normand que Breton. C'est un historien spécialiste de la Bretagne qui le dit ! Avec une belle persévérance, Frédéric Morvan est allé sur les traces d'une légende pour la débarrasser de ce glacis de chevalier en armure, tête nue et regard fier, qui galope encore dans les manuels scolaires. Bertrand Du Guesclin (1320-1380) appartient en effet à cette catégorie de personnages quasi mythiques de la guerre de Cent Ans.
Alors que de nombreuses biographies ont déjà été publiées et qu'un recensement des documents d'époque a été effectué par le médiéviste britannique Michael Jones, ce spécialiste de la féodalité bretonne s'est penché de plus près sur le personnage, au point de voir au fil des pages la fable devenir réalité.
Il fait surgir un connétable − un titre qui le place juste derrière le roi − et une époque où l'on tire l'épée comme on respire et où la frontière entre le brigandage et la guerre n'est pas toujours très claire. Batailleur, Du Guesclin n'en est pas moins habile gestionnaire d'un patrimoine considérable qu'il étoffe au fil des services rendus au roi Charles V.
Dans cette Bretagne à la féodalité vacillante qui se résume à un jeu du chat et de la souris entre le roi de France et le roi d'Angleterre, l'homme paraît à son aise. On le disait laid, il se laisse regarder. On le disait rustre, il est éduqué et très riche, ne serait-ce qu'au regard des rançons qu'il est capable de payer pour ses libérations, rançons dont il fixe orgueilleusement le prix, avec des sommes pouvant atteindre l'équivalent de 460 kg d'or.
Coupable idéal
Au service de la Couronne, il est l'un des plus actifs et des plus brillants capitaines. Il lève facilement des troupes et pratique une forme de guerre nouvelle qu'on appellerait aujourd'hui guérilla, très mobile et déstabilisante pour l'ennemi. Sa célébrité et sa fortune, il les gagne à la pointe de l'épée. Il conduit les routiers des grandes compagnies jusqu'en Castille contre le roi Pierre 1er le Cruel allié aux Anglais et ses exploits lui valent de reposer en l'abbatiale royale de Saint-Denis auprès des rois de France.
En séparant le bon grain de l'ivraie, en distinguant le faux du probable, en utilisant le prudent conditionnel, Frédéric Morvan montre aussi combien une telle figure en dit long sur le temps qui s'en empare. Ainsi, au XXe siècle, ses contempteurs, souvent indépendantistes bretons, en firent un traître qui avait choisi le roi de France, tandis que ses hagiographes revendiquaient un centralisme jacobin.
Michel Foucault considérait l'histoire comme l'ombre de l'interrogation sur le présent projetée sur le passé. Que nous révèle aujourd'hui cette image ? Que le temps des héros a passé, ce qui n'ôte rien à la gloire d'un « entrepreneur de guerre » aussi courageux que roué et ce qui n'empêche pas d'animer ces « linceul[s] de pourpre où dorment les dieux morts », comme disait Renan. Avec Jeanne d'Arc, Du Guesclin demeure une haute figure de la lutte contre l'envahisseur anglais. En le sortant du sommeil des âges, Frédéric Morvan lui redonne une vie authentique, en tout point flamboyante.
Du Guesclin
Fayard
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 22 € ; 272 p.
ISBN: 9782213712000