Ministre de la Culture entre 2017 et 2018, l’éditrice Françoise Nyssen a participé à l’élaboration du dispositif pass Culture, expérimenté dès 2019 et mis en place en 2021. Alors que sa forme actuelle est remise en cause, et que malgré le contexte politique qui gèle toute orientation à court terme, des rapports nourrissent le débat (lire ci-après), la présidente d’Actes Sud revient sur les ambitions du programme et les questions qu’il soulève actuellement.
Livres Hebdo : La forme actuelle du pass Culture est remise en cause. Quelle était l’intention initiale derrière la création du dispositif, et comment a-t-il été conçu ?
Françoise Nyssen : L’objectif principal du pass Culture était de favoriser l’accès à la culture pour tous les jeunes de 18 ans, marquant ainsi leur entrée dans l’âge adulte et la citoyenneté. Ce symbole fort permettait de donner à chaque jeune la possibilité d’explorer le monde culturel, que ce soit en fréquentant des librairies, des théâtres ou des cinémas. Lors de la conception, nous avons veillé à ce que le pass ne soit pas réduit à un bon d’achat en ligne, mais qu’il incite les jeunes à se rendre dans des lieux culturels. Cela a eu un impact significatif, notamment sur les librairies, en attirant de nouveaux publics. Même si certains jeunes y allaient d’abord pour acheter un manga, l’essentiel était qu’ils franchissent la porte et découvrent cet univers. Nous avons également expérimenté le dispositif dans des territoires moins favorisés (comme la Guyane, la Seine-Saint-Denis ou des quartiers difficiles à Strasbourg et Montpellier). Cela nous a permis d’écouter les jeunes et les acteurs culturels locaux pour adapter l’offre à leurs besoins et aspirations.
« Dès le départ, nous savions que le financement du pass Culture représentait un défi »
Quels étaient les défis financiers et les perspectives d’évolution pour le pass Culture ?
Dès le départ, nous savions que le financement du pass Culture représentait un défi, surtout avec un modèle exclusivement basé sur des fonds publics. Nous avions envisagé un montage financier impliquant des partenaires privés, comme des banques, qui pourraient contribuer à soutenir le dispositif en complément des financements publics. Dans le contexte budgétaire actuel, il semble crucial d’impliquer davantage la société civile et les acteurs privés pour assurer la pérennité du pass. En comptant toujours sur l’argent public, on peut arriver à des impasses. De plus en plus de lieux culturels ou de festivals ont recours au mécénat… Par ailleurs, l’évolution récente avec l’intégration d’une dimension collective (via les lycées et collèges) offre de nouvelles opportunités pédagogiques pour encourager la pratique artistique et la découverte culturelle.
Vous êtes éditrice et étiez ministre de la Culture lors de son élaboration. Comment le pass Culture équilibre-t-il le soutien aux différentes filières culturelles, notamment entre le livre et le spectacle vivant ?
Il est important de ne pas opposer le livre et le spectacle vivant. La filière du livre, bien qu’autonome économiquement, reste fragile et doit trouver son économie pour maintenir sa diversité et son indépendance. Grâce au pass Culture, de nombreux jeunes ont pu accéder à des livres, ce qui est essentiel pour leur éducation et leur ouverture culturelle. Le spectacle vivant, lui, est souvent soutenu par des structures publiques et dans des lieux qui font un excellent travail de diffusion auprès des jeunes publics avec des spectacles accessibles. Les deux secteurs sont complémentaires. Notons que le spectacle vivant est souvent basé sur des textes littéraires, ce qui montre l’importance de maintenir une filière du livre dynamique.