Ndlr : Cette interview a été réalisée le 10 janvier 2025, soit avant la parution de l'enquête de L'Humanité Magazine mettant en cause la gestion du FIBD et certains agissements problématiques au sein de l'organisation.
Livres Hebdo : Cette année, le Festival d’Angoulême offre une programmation définitivement tournée vers l’international. Pouvez-vous revenir vers cette orientation ?
Franck Bondoux : Le festival d’Angoulême a la volonté de s’inscrire dans cette tradition des grands événements français accueillant la production mondiale. Dans le domaine de la bande dessinée, la France est incontestablement un marché qui fédère économiquement l’ensemble des bandes dessinées. Cette spécificité se reflète à différents niveaux de notre structuration, parmi lesquels les prix du festival, qui mélangent toutes les productions. C’est une forme d’idéal, mais nous récompensons ce qui semble être la meilleure BD de l’année, à condition qu’elle ait été traduite en français. Si le festival a longtemps travaillé sur la reconnaissance de la BD comme forme d’expression culturelle et artistique, il a d’abord, aujourd’hui, une fonction médiatrice auprès du public. Pour faire venir les festivaliers, la programmation joue sur leurs centres d’intérêts et crée des passerelles pour les inciter à découvrir d’autres formes de créations. D’un autre côté, le festival s’efforce aussi de jouer un rôle dans l’exportation mondiale de la BD francophone, tout en saisissant le meilleur de ce qui se fait dans le monde. Ces considérations viennent s’incarner à la fois dans la dimension BtoB du festival avec le Marché international des droits (MID), ainsi que dans la dimension BtoC. C’est d’autant plus le cas avec la mise à l’honneur d’un pays en particulier. Ses représentants vont pouvoir échanger avec les opérateurs français du marché, mais aussi montrer leurs créations au public.
« La France est parfois une terre de révélation pour les auteurs »
À ce propos, vous avez décidé, cette année, de mettre à l’honneur l’Espagne. Quels sont les liens entre la France et la péninsule ibérique sur le marché de la bande dessinée ?
La France est parfois une terre de révélation pour les auteurs, à l’instar de l’Italien Ugo Prat. De la même façon, un certain nombre d’auteurs espagnols ont trouvé un réel débouché en France. Ce fût notamment le cas lorsque l’Espagne était aux mains de Franco et que les auteurs de BD ne pouvaient y faire publier leurs albums. Depuis, l’Espagne a évolué. Dans la démarche du gouvernement espagnol, qui a d’ailleurs rendu publique une étude sur l’ensemble de la filière, il y a désormais la volonté de développer son propre marché, de le sanctuariser. De notre côté, avoir choisi l’Espagne en tant qu’invité d’honneur nous permet de resserrer les liens avec les pays européens, mais aussi de faire écho à notre ambition, un peu utopique peut-être, de fédérer les citoyens du monde.
Comment cette mise à l’honneur s’illustrera-t-elle sur la manifestation ?
Sur le festival d’Angoulême, un pavillon mettra en lumière une quarantaine d’auteurs choisis par le gouvernement espagnol, qui a fédéré les différents acteurs ibériques du marché. Nous allons également renouveler l’exposition à l’Hôtel de Ville, qui permet au grand public de mieux comprendre l’historique du 9ᵉ art espagnol. Petite nouveauté de cette année : la nouvelle génération d’auteurs, castillans comme catalans, sera honorée, entre autres, au cours d’une exposition au Musée de la ville, autour de jeunes autrices espagnoles.
Depuis sa création, le Marché des droits du Festival d’Angoulême (MID) est devenu l'un de ces épicentres de la négociation des achats et des ventes de droits des bandes dessinées. Comment expliquez-vous son succès ?
Encore une fois, le MID concentre l’ambition française d’accueillir la production. En seulement quelques années, l’espace a transcendé le festival. Manifestement, la proximité directe qu’il propose intéresse l’ensemble des acteurs économiques. Nous sommes même devenus une référence en matière d’échange international. C’est d’ailleurs grâce à ce dynamisme que la Foire de Francfort nous a contactés pour signer un partenariat. En mars dernier, nous y avons donc mis en avant certaines productions sous le label Angoulême. Depuis quatre ans, nous travaillons également avec la Scelf dans le cadre de l’événement Shoot the Book ! Mais je crois qu’il y a encore un travail à faire, du côté des pouvoirs publics, pour que ces derniers considèrent davantage la dimension business d’un événement comme Angoulême. Si la BD bénéficie d’une reconnaissance assez récente, elle n’est pas encore tout à fait perçue comme un enjeu de soft power. Alors même qu'il s'agit d'une industrie qui sert de sourcing à d’autres, comme le cinéma ou le jeu vidéo.
« Je crois qu’un secteur comme le nôtre a tout intérêt à mutualiser ses moyens »
Même si la BD se porte bien, les volumes de ventes et le chiffre d’affaires du secteur tendent à baisser. Redoutez-vous que ce phénomène puisse se reporter sur la fréquence du public lors de la manifestation ?
Tout est relatif. Les chiffres GFK récemment parus sont plus optimistes que les prédictions qui avaient été faites. Néanmoins, nous avons effectivement observé un tassement de la bonne santé du marché. Les éditeurs veillent davantage à leurs budgets, mais tous ont répondu présent à Angoulême. Le festival est, je crois, un lieu où on a tout intérêt à être et à paraître. En revanche, ces problématiques nous obligent à être performants, fidéliser les professionnels et les accompagner au développement de leurs affaires. Aujourd’hui, les paramètres inflationnistes et génériques nous concernent tous. Pour maintenir les standards que nous avons introduits lors de la 50ᵉ édition du festival, nous avons fait le choix, cette année, d’augmenter nos tarifs. Nous sommes conscients des considérations économiques et événementielles des festivaliers, mais nous espérons que le public choisira de faire un effort. Par ailleurs, il me semble que nous proposons toujours une offre relativement accessible.
Outre l’évolution des tarifs, qui ont augmenté de 25 % par rapport à l'année dernière, l’organisation du festival a également introduit la chaîne de fast-food Quick comme nouveau partenaire privé principal de l'événement. Une annonce qui n'a pas été très bien reçue par certains acteurs du milieu de la BD et certains élus locaux. Que répondez-vous à ces critiques ?
Y a-t-il des bonnes ou des mauvaises entreprises ? Depuis 30 ans, les éditeurs de bande dessinée vendent à Quick leurs personnages. Le festival a besoin de partenaires et de sponsors diversifiés pour être financé. Certains de ceux qui nous soutiennent depuis des années, comme la SNCF, nous permettent de toucher des dizaines de milliers de personnes. De la même façon, Quick nous apporte des influenceurs, et nous permet d’avoir des relations avec des publics parfois éloignés de la culture. Aujourd’hui, personne ne flotte dans l’air. Nos expositions sont régulièrement le fruit de coproductions avec les éditeurs. Je crois qu’un secteur comme le nôtre, dont le chiffre d’affaires annuel n’atteint même pas le milliard d’euros, a tout intérêt à mutualiser ses moyens. Sans cela, nous risquons de basculer dans le champ politique. Pour ma part, j’essaie de tenir le festival à équidistance de toute forme absolue de dépendance.