Aux origines du racisme. Races, racines, racismes. Qu'est-ce qui relie ces mots ? L'historien portugais Francisco Bethencourt est parti d'une remarque : « Comment se fait-il qu'une même personne puisse être considérée comme Noire aux États-Unis, "de couleur" dans les Caraïbes ou en Afrique du Sud, et blanche au Brésil ? » Et si, contrairement à l'idée le plus souvent admise, le racisme avait précédé les théories des races apparues au xixe siècle ! De cette hypothèse est sorti en 2013 cet ouvrage remarqué pour sa clarté dans le discours et remarquable par sa quantité d'informations. Un livre en cinq parties, dix-neuf chapitres, comportant un millier de notes, qui s'étend des Croisades jusqu'au xxe siècle et couvre tous les continents. Et de cette plongée dans les eaux profondes de la discrimination, il ressort que le racisme n'est pas un phénomène inné partagé par l'ensemble de l'humanité.
Francisco Bethencourt, professeur de renom, spécialiste du monde lusophone et de l'histoire connectée, enseigne depuis vingt ans au King's College de Londres. Seulement deux de ses ouvrages avaient jusqu'ici été traduits en français : L'Inquisition à l'époque moderne. Espagne, Portugal, Italie xve-xixe siècle (Fayard, 1995), L'Empire portugais face aux autres empires. xvi-xixe siècles (avec Luiz Felipe de Alencastro, Maisonneuve et Larose, 2007). La parution de Racismes est donc un événement car elle permet de prendre la mesure d'un travail de haut vol, que l'on adhère ou pas à sa thèse. Car Francisco Bethencourt ne limite pas le racisme à l'ère coloniale, mais remonte au Moyen Âge en explorant les hybridations entre préjugés religieux, culturels et physiques. Cela lui permet de montrer que les discriminations systémiques existaient avant le concept biologique de « race » et que des formes ultérieures puisent dans des traditions plus anciennes.
Il définit ainsi le racisme comme un système hiérarchique de classification et de discrimination, fondé sur des différences perçues au-delà de la couleur de peau, mobilisé pour justifier le pouvoir, l'exploitation ou l'exclusion. Pour lui, le racisme s'articule toujours à des contextes politiques, économiques et sociaux. Ainsi les persécutions des minorités en Europe médiévale servent à renforcer l'unité religieuse et politique, et le racisme colonial justifie la conquête et le profit. « Dans tous les cas significatifs que j'ai étudiés, les préjugés concernant l'ascendance ethnique, associés à des actions discriminatoires, ont été motivés par des projets politiques. »
La mise en lumière des circulations d'idées et des pratiques discriminatoires entre continents permet de voir comment des modèles raciaux passent d'un contexte à l'autre. Elle évite aussi de considérer le racisme comme un phénomène spécifiquement occidental, les notions africaines de lignage et de parenté intervenant dans ce processus.
En abordant non pas « le » mais « les » racismes comme un phénomène historique global en constante adaptation, ce livre détache la notion d'une idéologie figée apparue au xixe siècle. Il permet aussi de comprendre comment ces racismes se recyclent dans de nouveaux contextes tout en gardant des racines anciennes.
Racismes. L'histoire du racisme des croisades au XXe siècle
Arpa
Traduit du portugais par Elena Matías
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 27,90 € ; 820 p.
ISBN: 9788410490222