Proposer de nouveaux livres aux Tunisiens pour les accompagner dans la transition démocratique, tenter de survivre à la crise économique et politique en Egypte, et amorcer, enfin, des échanges entre les pays arabes : telles sont les priorités qu'ont formulées, vendredi 18 mars, les éditeurs et les libraires venus de Tunisie, d'Egypte, du Maroc et d'Algérie dans le cadre du Forum Livres Hebdo intitulé « Maghreb : une nouvelle ère pour le livre ? » au Salon du livre de Paris.
Au lendemain de la chute de Ben Ali en Tunisie, Karim Ben Smail, des éditions Céres, a eu le sentiment qu'« enfin nous pouvions faire notre métier. On pouvait publier un ancien ambassadeur de France qui ne s'entendait pas avec Ben Ali et qui va révéler certaines choses, un caricaturiste de grand talent qui a rendu fou le régime pendant trois ans... Cela nous permet de nous réapproprier notre réalité. »
Les libraires ont garni leurs tables d'ouvrages d'histoire, de philosophie, de politique, comme en témoigne Selma Jabbes, de la librairie Al Kitab à Tunis. « On vend surtout des essais, et presque plus de littérature. Nous avons le sentiment que les gens ont envie d'apprendre. » Pour Elisabeth Daldoul, des éditions Elyzad, « les écrivains sont en train d'écrire des textes. Mais il faut du temps pour digérer ce qui s'est passé. L'autocensure nous a grignotés, nous a éteints. Nous devons nous réveiller et apprendre à penser autrement. »
L'urgence est tout autre en Egypte, où Agnès Debiage, des librairies Oum el Dounia au Caire, doit faire face à un arrêt presque complet de l'activité. « Il y a encore des jours où on ne voit personne en librairie. Il n'y a aucune reprise, nous avons du mal à assumer les salaires. Economiquement c'est très dur, car notre chiffre d'affaires n'est pas important à la base. »
Les révolutions tunisienne et égyptienne ont eu un fort écho au Maroc et en Algérie. L'éditeur et libraire Smaïl M'Hand (librairie El Biar et Ediitons Hibr) estime qu'« il est temps de se rapprocher les uns et les autres pour partager nos expériences et nos préoccupations. Mon souhait est de créer un grand Maghreb des librairies, sans frontières ni idéologie. » Des premiers pas vont dans ce sens, espéré par bon nombre de professionnels depuis plusieurs décennies sans trouver de réalité. Tout récemment, au Maroc, Yacine Retnani, du Carrefour des livres à Casablanca, a consacré une table dans sa librairie aux ouvrages publiés par la Tunisienne Elyzad. « Mais les relations Sud-Sud n'existent quasiment pas. Au sein de l'Alliance internationale des libraires francophones, nous réfléchissons à faire une caravane du livre au Maghreb sur le même schéma que celle de l'Afrique sub-saharienne. J'espère que tout ce qui se passe dans nos pays va permettre de prendre conscience que le livre sud sud doit circuler autant que nord sud. »
Karim ben Smail a annoncé la création de son site de vente en ligne de livres, Ceresbookshop.com. Pour lui, « au-delà, ce printemps arabe peut aussi être une occasion de repenser les échanges entre les rives nord et sud de la Méditerranée. La magnifique solidarité des peuples nous a énormément touchés. Peut-être est-il temps de se revoir, de réfléchir à d'autres manières de fonctionner. Arrêter de construire l'Europe de l'argent, du pouvoir et du pétrole et construire l'Europe des peuples et de la culture. »