À Brive, le livre ne se contente pas de s'exposer : il agit. Depuis plus de 40 ans, la Foire du livre incarne l'un des grands rendez-vous populaires et littéraires de l'automne français. Mais cette 43e édition, présidée par Philippe Claudel, prend une portée particulière.
Sous le signe de la liberté, elle place au cœur de sa programmation les valeurs humanistes que la littérature défend : le droit de dire, de penser, d'écouter. Arrêté à son arrivée à Alger en novembre 2024, condamné à cinq ans de prison pour ses opinions, Boualem Sansal incarne la liberté d'expression menacée. Un hommage lui sera rendu dans le cadre du cycle de conférences « Temps présent », qui aura cette année pour thème « La liberté souffre violence ». Ce fil rouge, en résonance avec l'actualité mondiale, irrigue l'ensemble du festival à travers des rencontres avec Kaouther Adimi, Nicole Bacharan, Lauren Bastide, Rim Battal ou encore Andreï Kourkov. Un numéro spécial du 1 hebdo accompagnera ce nouveau cycle de « Temps présent » prolongeant la réflexion au-delà du festival.
C'est aussi par une programmation résolument tournée vers l'humain que Philippe Claudel, président de cette 43e édition, imprime à la Foire une tonalité à la fois lucide, solidaire et sociale. Écrivain, cinéaste et président de l'Académie Goncourt, il a notamment choisi de proposer une rencontre au tribunal de Brive sur le thème des prisons, où dialogueront écrivains, magistrats et ancien détenu, une rencontre « Paris / Province », autour des fractures territoriales, et un entretien dans une résidence autonomie pour personnes âgées.
Le président présentera également son film Il y a longtemps que je t'aime (2008), et proposera un concert littéraire avec Bertrand Belin, avant de dialoguer avec le lauréat du prix Goncourt 2025. À la médiathèque, la Foire du livre de Brive organise des moments d'échanges privilégiés entre lecteurs et écrivains, loin du tumulte de la Halle Brassens. Avec les « Conversations particulières », quatre auteurs - Valentine Goby, Emma Green, Aurélie Valognes et Bernard Minier - viennent dialoguer avec le public.
En parallèle, le dispositif Talents d'ici, imaginé en partenariat avec l'Association des éditeurs de Nouvelle-Aquitaine (AENA), met à l'honneur l'édition indépendante de la région à travers des rencontres et des discussions. Cette année, la programmation s'enrichit de deux ateliers d'écriture gratuits dans la petite salle du théâtre : « Faire corps avec les mots », un atelier de poésie animé par Sara Bourre, et « Écrire en fantasy » avec Olivia Gometz.
Rencontres professionnelles : penser la lecture à l'ère du numérique
La Foire célèbre aussi la fête et la joie de vivre à travers deux rendez-vous spectaculaires. Avec Music-Hall Colette, Cléo Sénia dialogue avec Colette dans un cabaret mêlant paillettes, costumes androgynes et robes col Claudine, pour revisiter le Tout-Paris des Années folles. Dans la mise en scène de Léna Bréban, la romancière tombée amoureuse de la Corrèze devient une figure fantasmatique et flamboyante, explorant la liberté, le féminisme et la vivacité intellectuelle. Dans un registre plus intimiste, Denis Podalydès sera présent avec ses Lectures de chevet. Accompagné au piano par Jodyline Gallavardin, il fera résonner les textes de ses auteurs favoris, de Pierre Michon à François Villon et Victor Hugo.
Nécessité de la fiction
Côté jeunesse, c'est Jean-Claude Mourlevat qui donnera le ton cette année. Auteur du célèbre album Jefferson, il proposera aux élèves de Brive de mener l'enquête avec lui pour éviter l'erreur judiciaire. Accompagné par Fanny Herrero, créatrice de la série Dix pour cent, il explorera également les tourments de la création grâce à une table ronde qui se questionnera sur l'utilité et la nécessité de la fiction : pourquoi continuer à inventer des histoires ? Comment naissent-elles, et quel est le processus créatif qui permet de les construire ? Les auteurs évoqueront aussi les sacrifices et les doutes qui accompagnent la création, et se demanderont si, un jour, le créateur peut trouver le repos.
Stéphanie Tisserond, rédactrice en chef de la revue L'éléphant Junior, animera deux rencontres pédagogiques et citoyennes destinées aux jeunes. Un premier débat intitulé « Faut-il continuer à étudier les classiques de la littérature à l'école ? » et un second, où elle abordera la question des fake news pour expliquer aux jeunes -comment reconnaître les fausses informations et les rumeurs, et leur fournir les clés pour devenir des cybercitoyens avertis. Enfin, Les podcasts de la lose offriront aux auditeurs une lecture théâtralisée sur les discriminations et donneront la parole à l'adolescence. La bande dessinée n'est pas en reste. Une cinquantaine d'auteurs investiront les stands de l'Espace des 3 Provinces, offrant aux visiteurs l'occasion de rencontres privilégiées et de dédicaces. Le public pourra assister à des moments forts dédiés au neuvième art, avec Emmanuel Guibert comme grand invité, qui présentera Ariol's Show. À cela s'ajoutent une exposition et une rencontre célébrant les 50 ans du célèbre magazine Fluide Glacial.
Expérience inédite
Brive fait rimer littérature et citoyenneté jusque dans ses rues. Vendredi après-midi, 700 écoliers déclameront des poèmes sur les parvis de la mairie, du théâtre, de la médiathèque et de la chapelle Saint-Libéral. Une déferlante de mots et de voix, fruit d'un partenariat avec l'inspection académique, qui fera battre le cœur de la ville au rythme de la poésie. Pendant ce temps, au théâtre, 400 lycéens assisteront à la grande leçon d'Hélène Dorion, première grande invitée poésie de la Foire, dont l'œuvre allie contemplation et engagement. La poète québécoise, couronnée par l'Académie française, rappellera que la parole poétique peut encore rassembler les générations et ouvrir un espace de respiration dans un monde saturé de bruit.
Cette édition se clôt sur une expérience inédite : « Livre humain à lire », portée par la médiathèque du centre-ville. Inspirée du concept de « bibliothèque humaine », cette initiative invite le public à « emprunter » non pas un ouvrage mais une personne venue témoigner de son parcours : handicap, maladie, résilience, reconstruction. Pendant quinze minutes, face à face, on écoute, on questionne, on comprend. Aucune barrière, aucun tabou : seulement la confiance, la parole partagée, la reconnaissance mutuelle. Dans ce dernier geste, Brive résume tout son esprit : faire du livre un être vivant, et du lecteur un témoin.
Lire pour guérir : la littérature au service de la résilience


