Dans un rapport publié mercredi 19 novembre au Journal officiel, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) estime que l’entrepreneuse "a méconnu [ses] réserves en prenant pour client la société Naver Corp. avec laquelle elle avait conclu un contrat ou formulé un avis sur un contrat" du temps où elle occupait la fonction de ministre de la Culture du gouvernement de Manuel Valls.
L’institution a par conséquent transmis le dossier au procureur de la République. Selon l’AFP, le Parquet national financier, chargé de traquer la délinquance économique, aurait été également notifié. Fleur Pellerin, à la tête de la société d'investissements qu'elle a créée, Korelya Consulting, gérait depuis septembre 2016 le fonds K-Fund I "intégralement doté par la société Naver Corp", rappelle la Haute autorité, auprès de laquelle la chef d’entreprise de 45 ans a levé un total de 200 millions d'euros en 2016-2017.
La HATVP s’est toutefois aperçu que Fleur Pellerin avait déjà tissé des liens avec ce groupe à l'époque où elle était au gouvernement. En octobre 2015, elle avait "évoqué" avec le président de Naver Corp "à l'occasion d'une visite en Corée du Sud (...) un projet de partenariat en vue de la diffusion" par le groupe asiatique "des événements de l'année France-Corée [2015-2016]", relate le rapport.
Un mois plus tard, le 4 novembre 2015, elle signe "pour le gouvernement français" une "lettre d'intention" avec Naver Corp pour l'hébergement de contenus vidéos sur sa plateforme Naver TV Cast "pour la promotion de la culture". Et "sur la base de cette lettre", souligne la HATVP, "une convention de partenariat sur le service vidéo" est établie le 17 mars 2016 entre l'Institut francais de Corée du Sud et Naver Corp. A cette date, Fleur Pellerin avait quitté le gouvernement depuis un mois.
Un "avis de compatibilité sous réserve"
Créée en 2013 suite au scandale provoqué par l’affaire Cahuzac, la HATVP contrôle et publie les déclarations d’intérêts des élus, mais surveille également pendant trois ans les reconversions de responsables publics dans le privé, parfois appelées "pantouflages". L’ancienne ministre avait d’ailleurs saisi la Haute autorité en 2016, quelques mois après son départ du gouvernement, afin qu’elle évalue la compatibilité de son projet de création de sa société d’investissement avec ses obligations déontologiques.
L’institution avait prononcé un "avis de compatibilité" mais "sous réserve d'un certain nombre de précautions visant à prévenir l'infraction de prise illégale d'intérêts". En pratique, Korelya Consulting ne peut pas, "jusqu’au 11 février 2019" fournir des prestations à des entreprises qui "ont bénéficié de la part des services du ministère de la culture et de la communication d'autorisations, d'agréments, d'aides financières ou de décisions de quelque nature que ce soit entre le 26 août 2014 et le 11 février 2016 ou qui ont conclu des contrats avec ces services pendant cette période" durant laquelle Fleur Pellerin était en poste.
En mai 2018, l’ex-ministre répondait à la HATVP que la lettre d’intention signée avec Naver Corp "ne présente en aucune façon le caractère d'un contrat", au sens de la réserve émise par la Haute autorité. "Ce document ne présentait aucun caractère contraignant pour les signataires", a fait valoir Fleur Pellerin dans son courrier. Celle-ci rajoutait que la convention de partenariat était "le fruit exclusif des discussions engagées entre Naver Corp et les services culturels de l'ambassade, bien avant (sa) visite en Corée du Sud et celle du président de la République". Selon l’entrepreneuse, les discussions "se seraient poursuivies" avec ou sans la lettre d’intention. Sans toutefois totalement convaincre la HATVP.
C'est la première fois que la Haute autorité signale à la justice une possible situation de prise illégale d'intérêts dans le cadre de son contrôle du "pantouflage" d'ex-responsables publics.