Son nom n’est pas très connu en France. Pourtant l’Américaine Gloria Steinem, 84 ans, pionnière du féminisme américain, est une personnalité culte aux Etats-Unis. Riche idée qu’ont eue les éditions du Portrait de traduire pour la première fois en français ces Outrageous acts and everyday rebellions, vingt-sept courts essais écrits pendant les années 1960 et 1970, et réunis pour la première fois en 1983: un best-seller vendu à 500 000 exemplaires.
Native de l’Ohio, Gloria Steinem a été journaliste. D’abord free-lance - "J’ai été une Playboy Bunny", son reportage en immersion en 1963 dans un club Playboy de New York ouvre le recueil -, puis chroniqueuse politique au New York Magazine en 1968, elle a cofondé en 1972 le magazine féministe Ms. où sont parues les premières versions de la plupart des textes repris dans cette anthologie dans laquelle figurent notamment les portraits de cinq femmes (Marilyn Monroe, Patricia Nixon, Linda Lovelace, Jackie Kennedy et Alice Walker), ainsi qu’un récit très personnel sur sa mère, Ruth.
La pornographie et l’érotisme, les militants anti-avortement, l’alimentation, les mutilations génitales, le rapport au temps, la répartition de la parole entre les hommes et les femmes, etc., les thématiques de ces textes balaient deux décennies historiques de combat pour les droits des femmes. Un engagement très pragmatique car Gloria Steinem n’est pas une théoricienne. Elle pratique un activisme camarade et ses articles écrits dans une langue claire et directe sont souvent des "leçons de l’expérience", tirées notamment de ses rencontres avec des femmes de tous milieux au cours de centaines de conférences féministes données dans tout le pays comme "oratrice itinérante", des tournées en tandem avec des féministes noires, dont l’avocate Florynce Kennedy, qu’elle évoque dans "Sororité". Son féminisme valorise les petites actions individuelles et la solidarité des luttes associe les discriminations sexuelles et raciales. Il encourage les "exercices pratiques", incitant par exemple les femmes à imaginer des situations de science-fiction dans "Rêverie sur ordonnance" pour "stimuler [leur] énergie mentale". Le constat qu’"une révolution sans humour est aussi vouée à l’échec qu’une révolution sans musique" lui inspire, en 1978, "Si les hommes avaient leurs règles", "une fantaisie littéraire".
Il est un peu inquiétant de constater que les textes de Gloria Steinem auxquels elle a ajouté des post-scriptum et une nouvelle présentation en 1995 à l’occasion d’une nouvelle édition, n’ont pas beaucoup vieilli sur certains sujets. "Elle nous nourrit de sa lucidité. Et son bon sens, nommant les choses pour ce qu’elles sont, vous fera rire aux éclats", salue la jeune comédienne Emma Watson dans une préface inédite pour l’édition française. Dans un entretien à Libération il y a quelque mois, avant l’éclatement de l’affaire Weinstein, Gloria Steinem, qui a publié en 2015 son autobiographie My life on the road, observait quant à elle: "L’avantage d’être vieille, c’est que je peux me rappeler que c’était bien pire avant."V. R.