Le 12 mai dernier, la 17 ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris - autrement dit la fameuse Chambre de la presse, devant laquelle défilent nombre d’éditeurs – a ouvert une nouvelle brèche dans la muraille juridique érigée par la loi du 29 juillet 1881, relative notamment à la diffamation. L’affaire concernait le passé judiciaire de Patrick Devedjian. En fin d’année, plusieurs blogs avaient relayé un article  du Petit varois remontant… à 1965. Le texte racontait comment «  deux jeunes étudiants à la Faculté de droit de Paris  » avaient tenté de voler de l'essence au volant d'une Simca 1000, elle-même volée. Les deux étudiants en question, Patrick Devedjian et Alain Madelin , appartenant alors à l’organisation d'extrême droite Occident, avaient écopé, à défaut d’essence, d’un an de prison avec sursis. Il faut dire que le jeune Devedjian avait pris la fuite une nuit durant ; et une perquisition avait permis de saisir sur le bateau que les deux énergumènes habitaient des pièces de voiture ainsi qu’une arme. Trois journaux régionaux du groupe Hersant ont, à leur tour, exhumé cette vieille affaire, en évoquant les blogs. Bref, voilà qui tranchait avec le discours sécuritaire de l’actuel ministre de la Relance (!) et président du Conseil général des Hauts-de-Seine. D’où un Devedjian attaquant en diffamation les trois titres litigieux, demandant 50 000 euros de dommages et intérêts et la publication du jugement dans ces mêmes journaux. Le droit semblait en faveur de notre voleur aujourd’hui repenti. Les poursuites en diffamation peuvent certes être combattues par la démonstration de la vérité des faits qui sont allégués. Et cela au moyen de lettres, d’articles, d’enregistrements audiovisuels ou encore de témoignages. Mais la loi de 1881 pose d'importantes limites à cette « exception de vérité ». La preuve des faits allégués ne peut en effet être rapportée «  lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision  ». Plus compliqué encore, la démonstration de la vérité ne peut être faite pour des faits qui remontent à plus de dix ans ou qui relèvent de la vie privée. Or, c’est le propre de nombreux textes biographiques (livres ou articles de presse) que de revenir sur la vie privée ou des faits anciens, même si les juges sont rarement du côté des voleurs.   Pourtant, Devedjian a été débouté au motif que «  le grand nombre d'articles mis en ligne (...) évoquant des faits commis par un homme politique ayant des responsabilités politiques importantes et exerçant notamment des fonctions ministérielles, justifiait que le public soit informé du fait d'actualité que constituait ce « buzz médiatique »  ». De plus, les magistrats ont relevé que les propos litigieux ne comportaient aucune «  animosité personnelle  » envers Patrick Devedjian (de la part du groupe Hersant, cela eut été le comble…) et que le journaliste avait fait «  preuve de la prudence nécessaire  » en tentant de joindre le cabinet du ministre avant publication. Ces notions d’absence d’animosité et de prudence font référence à une autre technique de défense prévue par la loi et qui consiste en l’exception dite de bonne foi. Il existe un précédent fameux concernant le passé de tortionnaire de Jean-Marie Le Pen. Le 24 novembre 2000, la Cour de cassation avait mis fin à des très longues batailles judiciaires en estimant « légitime » l’évocation du comportement de Le Pen en Algérie. En février 1992, sur TF1, Michel Rocard avait déclaré : «  Il faut tout de même savoir qui est M. Le Pen, et s'en souvenir. En Algérie, il a torturé.  » Au final, la bonne foi de Michel Rocard avait été retenue car, selon la cour, « la protection de la réputation d'un homme politique doit être conciliée avec la libre discussion de son aptitude à exercer les fonctions pour lesquelles il se présente au suffrage des électeurs ». Les mêmes juges avaient ensuite donné raison à Pierre Vidal-Naquet, le 19 juin 2001. Le grand historien était poursuivi par Jean-Marie Le Pen en raison du second tome de ses Mémoires, intitulé Le Trouble et la lumière (Le Seuil), dans lequel étaient rappelées «  les activités tortionnaires de Jean-Marie Le Pen, député du Quartier latin  ». Devedjian, pourtant avocat, aurait dû s’en souvenir : il arrive que la mémoire triomphe du droit.
15.10 2013

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