22 août > Roman France

De lui, on a pu écrire qu’« il a été le meilleur enfant et le meilleur adolescent qui ait vu le jour dans cette ville ! Il en a été le Roi ! Son nom était la promesse de quelque chose d’immense ! ». C’était il y a longtemps, vingt ans, quelque part dans la province française, une ville comme toutes les autres et qui les vaut toutes, nommée Mornay (mort-née ?). Il y avait, en ce temps et ces lieux-là, un jeune homme trop beau qui faisait l’ange et la bête, aussi dissipé que les dons, la grâce et les nuages peuvent l’être. Il s’appelait Mehdi Faber, mais ses amis, la foule de ceux qui le craignaient et celle plus grande encore de ceux qu’il fascinait, ne l’appelaient pas autrement que Faber. Dans cette France déjà bien exténuée, cette France blanche et apeurée du désenchantement démocratique et d’un « Sam suffit » pavillonnaire, il était pour tous comme un vivant reproche en même temps qu’une ligne d’horizon. Et puisqu’il n’est de dieu sans disciples, Faber en avait choisi deux, « biographes » fascinés tant par leur camarade que par leur propre fascination. Le premier, Basile, timide, « réglementairement » empêtré dans son adolescence, doué pourtant lui aussi, se tient d’abord à distance du charisme de Faber. La deuxième, Madeleine, fille de pasteur, se vit comme un garçon manqué faute d’être tout à fait persuadée de réussir à être une fille. Ces trois-là, unis par les joies du minoritaire, sont amis, ce qui ne va pas sans clair-obscur, mais signifie qu’ils s’aiment. Puis, le temps passa et donna l’impression de ne plus revenir, et Faber s’en alla, emportant avec lui jusqu’à l’idée de la révolution. Madeleine est mariée, mère d’une petite fille, préparatrice en pharmacie. Basile, lui, enseigne le français et réfléchit à la permanence des choses (« les enfants de jadis sont comme des fantômes qui clignotent, de plus en plus faiblement, par-dessous la lumière plus vive des enfants d’aujourd’hui. Ni décadence ni progrès, le présent et le passé ne se comparent pas, ils s’éclipsent l’un l’autre »). Mornay n’a pas beaucoup changé. Alors, lorsque, fût-ce en frusques et haillons, Faber revient en ville…

Faber est le héros paradoxal du dernier et fascinant roman de Tristan Garcia, dont on parierait volontiers qu’il sera l’un des livres marquants de cette rentrée littéraire. Jamais Garcia ne s’était montré à ce point « naturellement » romancier. Avec ce livre-là, et ce livre seulement, il transforme l’essai marqué voici cinq ans à la parution de La meilleure part des hommes (Gallimard, 2008). Etourdissante variation (et d’abord étourdissante d’intelligence) autour des faux-semblants du charisme, Faber, le destructeur est son Gatsby le magnifique. Un Gatsby provincial, nourri à l’indie rock des années 1985-1995 et à un nihilisme d’époque, dont Basile serait le Nick Carraway (à moins que ce ne soit Garcia lui-même). De ce personnage hors norme se dégage une peinture tragique d’une société profondément normative, et d’une jeunesse qui, finalement, ne l’était pas moins. Cette jeunesse-là ne nous est pas totalement inconnue. C’est la nôtre. Ce qu’il en reste.

Olivier Mony

 

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