21 septembre > Anthologie France > Claude Arnaud

L’art du portrait, graphique puis écrit, est aussi vieux que la civilisation, même si on n’a pas retrouvé les plus anciens. Depuis l’âge des cavernes et celui des tablettes en terre cuite, l’homme a représenté l’homme. Un autre, ou lui-même. Et le résultat est doublement éclairant : il montre son semblable et, ce faisant, se révèle soi-même. Et quand il s’agit d’un autoportrait, l’ego est doublement flatté. Dans une démarche anthologique proche de l’universitaire, Claude Arnaud, auteur lui-même de pas mal de portraits, de Cocteau par exemple, l’un de ses écrivains de prédilection, s’est lancé dans une vaste entreprise, éclairante et jubilatoire : retracer l’histoire du portrait littéraire "moderne", né avec Montaigne, jusqu’à nos jours, avec le Houellebecq de Soumission, qui, dans un jeu de miroir intéressant, traitant de Huysmans, son maître avoué, esquisse une sorte d’autoportrait, saisi dans sa très mélancolique jeunesse.

Le gros "Bouquins" de Claude Arnaud, qui n’est pas simple anthologie puisque chaque texte est amené, mis en situation voire en relation avec d’autres, et commenté, après une introduction un peu didactique, s’articule en dix sections à la fois thématiques ("l’autoportrait", "le portrait historique", "le portrait collectif" ou "quand l’homme se réanimalise"…) et chronologiques. Plus un chapitre d’environ 70 pages consacré à Saint-Simon, considéré, à juste titre, comme le maître du genre, façon classique et vachard. Car le petit duc était un observateur d’une rare acuité, mais aussi d’une méchanceté rare, et, en cela, un parfait "gendelettre".

Ce qui réjouira le lecteur, dans son parcours buissonnier de cette anthologie, ce sont bien sûr les piques, les portraits à charge, les règlements de compte entre écrivains, pour des raisons diverses, mais dont la principale est souvent la jalousie. Ainsi Malraux vu, en 1937, par Mauriac. Si les deux écrivains partageaient les mêmes convictions en faveur des Républicains espagnols, l’intellectuel de salon éprouvait une envie certaine face à son confrère plus jeune, plus célèbre, plus engagé, infiniment plus séduisant. "Dès que Malraux ouvre la bouche, son magnétisme faiblit, écrit Mauriac. Non qu’il n’y ait en lui de quoi faire un tribun, et un grand tribun ; mais le littérateur lui coupe le sifflet." Les Oraisons funèbres apportent un cinglant démenti à cette mauvaise foi "professionnelle". On citera encore Cocteau épinglé par un Gide agacé, et ce même Gide flingué par le raté Herbart. "Cria cuervos…"

Claude Arnaud privilégie les classiques, et il a raison : s’il s’écrit encore beaucoup de portraits aujourd’hui (trop, et de n’importe qui), combien mériteraient d’entrer dans une anthologie à venir ? Jean-Claude Perrier

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