Entretien

Eric Piolle : « La bibliothèque est la première marche d'accès à la culture »

Eric Piolle, maire de Grenoble, dans son bureau à l'hôtel de ville. - Photo THIERRY CHENU/VILLE DE GRENOBLE

Eric Piolle : « La bibliothèque est la première marche d'accès à la culture »

Trois ans après les vives critiques suscitées par sa décision de fermer trois bibliothèques de quartier, le maire de Grenoble (Europe Ecologie Les Verts), Eric Piolle, détaille le plan lecture qu'il vient de lancer et annonce le projet d'un nouvel établissement tête de réseau. _ par

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Par Véronique Heurtematte,
Créé le 03.05.2019 à 14h02

Livres Hebdo : pourquoi ce plan lecture pour la ville de Grenoble ?

Eric Piolle : Il y a à Grenoble une tradition forte, ancienne, du réseau de lecture publique qui fait la fierté de la ville. Nous avons éprouvé le besoin de questionner notre portage collectif sur cette question, de voir comment l'amener plus loin et en faire un vecteur central de notre politique. Notre projet politique a pour ambition de nourrir la liberté de chacun, que ce soit en matière d'éducation, de démocratie, d'accès au droit, à la culture. La lecture publique est au cœur de l'ensemble de ces dimensions. Chérir le bien commun est quelque chose qui me tient à cœur dans le domaine de l'énergie, mais également dans le domaine de la culture. Ce plan pour la lecture a été construit à partir d'un diagnostic qui montre bien les forces du réseau de bibliothèques à Grenoble et sa capacité à aller plus loin.

Avec son réseau de bibliothèques de quartier, la ville de Grenoble a opté pour un service de proximité.- Photo VILLE DE GRENOBLE

Le tollé qu'a suscité, en 2016, votre décision de fermer trois bibliothèques a-t-il joué un rôle déclencheur dans votre réflexion sur la lecture publique ?

E. P. : Je m'attendais à des protestations. Aucun élu ne peut penser que fermer une bibliothèque sera un sujet facile. C'est une décision impopulaire, où que ce soit dans le monde qui nécessite de surmonter un tabou pour aller au fond des choses. A l'époque, Grenoble était la plus endettée des villes de plus de 100 000 habitants. Or, nous avions fait le choix de ne pas augmenter les impôts locaux. Mais le plan lecture n'a aucun lien avec ça. Pour des raisons historiques, la place du spectacle vivant est très forte à Grenoble. Nous avons eu la volonté, dès le début de mon mandat, d'élargir le champ des esthétiques culturelles à d'autres domaines. Nous avons créé des résidences pour les plasticiens, pour les auteurs, des lieux de médiation. Nous avons mené toute une réflexion sur la place de la culture dans l'espace public, sur les pratiques culturelles, et bien évidemment, sur la place des artistes et sur leur liberté d'expression. Cette réflexion se décline un peu partout. A l'école, où 100 % des classes élémentaires bénéficient de cours d'éducation artistique et culturelle, dans les activités périscolaires, dans notre politique de démocratie locale.

Quelle est la place de la lecture publique dans votre programme politique ?

E. P. : Nous avons une singularité puisque le projet politique que je porte a été élaboré collectivement, avant d'être soutenu par des partis politiques, des réseaux citoyens et des individus. Ce projet repose sur la volonté de garantir des sécurités en matière de logement, de mobilité, d'éducation, d'accès aux soins, au droit, à la culture. Faire en sorte que chacun puisse construire son parcours individuel et être reconnu pour ce qu'il peut apporter à la communauté. La lecture a évidemment un rôle essentiel là-dedans pour le rapport qu'elle offre à l'esthétique, au beau, à la poésie. Je me retrouve dans les propos du philosophe François Jullien quand il dit que le temps est arrivé de la revanche de la littérature sur la philosophie. Ce qui va nous guider dans le monde qui vient, ce n'est pas la peur du désastre écologique, c'est la capacité à nous créer une mythologie nouvelle, positive. Et celle-ci émanera des artistes. Dans une société qui a peur, où les désaffiliés sont de plus en plus nombreux, et où ce sentiment d'expulsion génère de la colère, la lecture, mais aussi la parole ont une place essentielle. La peur et la colère sont génératrices de violence si elles ne sont pas mises en mots. Nous organisons des concours d'éloquence pour les jeunes qui réunissent chaque année des dizaines de participants et des centaines de spectateurs. Pour les jeunes issus des quartiers populaires, la question du rapport à la parole et au texte est extrêmement importante. Le diagnostic effectué sur les bibliothèques de Grenoble montre que nous avons sur ce point une marge de progression importante puisque nous avons presque deux fois moins de jeunes qui fréquentent nos bibliothèques que dans les autres villes de France de taille similaire.

Le rapport Orsenna a ouvert une réflexion sur le rôle des bibliothèques. Pour vous, qu'est-ce qu'une bibliothèque aujourd'hui ?

E. P. : Je la vois comme une première marche d'accès à la culture. Le réseau de Grenoble est de loin le plus dense de France pour le nombre de bibliothèques par habitant et par rapport à la surface de la ville. Ce maillage est exceptionnel. Nous avons fermé deux bibliothèques, mais nous avons changé de position concernant la troisième, que nous avons décidé de maintenir ouverte et de transformer.

Un tel réseau de petites bibliothèques de proximité est-il toujours adapté aux réalités actuelles ?

E. P. : Il reste adapté en raison de la grande proximité physique et sociale qu'il offre. Nous avons aussi des relais lecture et de nombreuses actions hors-les-murs dans les prisons, les maisons de retraite. La lecture publique n'est pas limitée à ses bâtiments. Cependant, le diagnostic que nous avons effectué a montré le besoin de se doter d'une tête de réseau et nous nous sommes engagés dans cette logique. Grenoble a raté il y a vingt ans le train des grandes Bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR), nous allons prendre celui-là.

Comment concevez-vous cette bibliothèque tête de réseau ?

E. P. : Je crois que nous sommes sortis de l'ère des grandes bibliothèques monumentales. Aujourd'hui, nous sommes plus sur des équipements destinés à être des fers de lance en matière d'animation et de certaines pratiques innovantes, sans pour autant être colossales dans leur superficie, ni ostentatoires dans leur message. Nous allons lancer une étude sur le dimensionnement du futur équipement et sur sa localisation, qui constitue un enjeu important. Nous allons arbitrer entre une implantation en centre-ville ou bien dans un quartier dans le cadre d'un aménagement urbain. Le parti pris jusqu'au-boutiste fait en 2005 pour la médiathèque Kateb-Yacine, située à la fois dans un centre commercial et dans un quartier, n'est pas forcément à renouveler. Nous avons également prévu la rénovation de plusieurs établissements, dont la bibliothèque d'étude et du patrimoine. Entre la construction d'une tête de réseau, les opérations de rénovation et la gratuité, qui sera mise en place le 1er juillet, nous avons des pistes d'amélioration solides.

Vous êtes-vous inspirés d'expériences en France ou à l'étranger ?

E. P. : Nous avons visité différents établissements. Les bibliothèques de Toronto, qui constituent le plus gros réseau au monde avec deux millions d'abonnés, nous ont émerveillés par leur dynamisme, la diversité de leur offre, leur rapport au bien commun, extrêmement fort. Cependant, nous avons un budget, un nombre de bibliothèques et d'agents par habitant supérieur aux leurs. La médiathèque de Bologne, aussi, est extraordinaire. On y entre nez au vent, juste par curiosité et finalement, on s'y installe, on y passe du temps.

Quelle est la situation financière de la ville et quel est le budget pour les bibliothèques ?

E. P. : Notre plan de sauvegarde a porté ses fruits. Nous avons retrouvé une épargne nette positive sans augmenter les impôts. Nous sommes la seule grande ville de France à ne pas l'avoir fait. Le budget pour les bibliothèques est très important, 8,5 millions d'euros.

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