Si l'affaire n'a pas soulevé une tempête dans le Channel, les sujets britanniques ont néanmoins été tout retournés récemment en constatant que le jury du prestigieux Man Booker Prize, placé cette année sous la présidence de l'ancienne espionne Stella Rimington, qui n'a rien à voir avec le milieu littéraire, avait sélectionné des livres jugés trop grand public. Cela pourrait-il arriver en France ? : "Il n'y a pas de loi, ce serait fou de donner une image stéréotypée. Si le livre est bon, il trouvera ses lecteurs. S'il est mauvais, il ne les trouvera pas, réagit la présidente de l'académie Goncourt, Edmonde Charles-Roux. On ne peut pas se permettre de faire un choix combattu par l'opinion. »

RESPONSABILITÉ

Membre du jury Médicis, plus détaché des problèmes de ventes, Michel Braudeau confirme : "Le Goncourt a une responsabilité : il prescrit un livre à toute une bibliothèque de comité d'entreprise. Je vote tout simplement pour le livre qui a le plus de mérite, précise l'écrivain. Il faut couronner quelque chose de bien sans chercher à voler au secours du libraire et d'Amazon, mais évidemment on ne va pas aller au suicide. »

"Ce qui me frappe », analyse cependant Paule Constant, présidente du Femina, "c'est la similitude des listes des grands prix. Je crois que la presse influence les jurys ». Comment départager les finalistes ? Pour Pierre Bergé, président de nombreux prix dont le Décembre, un palmarès est le résultat d'un "choix d'hommes et de femmes, de lecteurs, indépendamment de toutes considérations, de potins, d'échanges. Pas plus que les sondages ne font la politique, ceux-ci ne font les prix littéraires ». Reste que chacun y voit un but : "Les prix littéraires servent à mettre un livre et la littérature à la une de la presse et à insérer le livre au milieu de la politique, de l'économie, des finances », estime Bernard Pivot, académicien Goncourt. Nouveau juré Renaudot, en plein combat contre le numérique, Frédéric Beigbeder renchérit : "Les prix sont là pour sauver les romans. On est le seul pays au monde où l'on s'excite pendant trois mois sur les romans. L'important est de projeter une lumière sur un romancier. » Quel qu'il soit : "C'est très bien de couronner un livre qui n'est pas un best-seller, cela attire l'attention sur lui, c'est un couronnement ; et s'il s'agit d'un best-seller, cela lui accorde du crédit », plaide Bernard Pivot.

A la commission du grand prix de l'Académie française, Frédéric Vitoux défend une voix médiane : "Pour moi, le prix standard, sauf s'il y avait une révélation, doit couronner un assez jeune auteur au début de sa carrière, au moment de son deuxième ou troisième roman, quand une oeuvre forte se dessine. »

POUR LES JURYS PERMANENTS

A l'opposé du fonctionnement du Man Booker Prize, tous les jurés semblent en tout cas favorables aux jurys permanents issus du milieu littéraire. Michel Braudeau précise : "Nous avons une véritable expertise, nous indiquons quelque chose. Pourquoi vouloir imaginer que "vox populi" égale "vox Dei". Comme si le public avait du goût ! Pierre Benoît, Guy des Cars, ça va à petite dose !"

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