Peut-être faut-il être du sud pour témoigner de la violence sauvage des territoires glacés du nord? S’emparant du Dernier Lapon, le roman policier ethnologique à succès et multiprimé d’Olivier Truc (Métailié, 2012), les Catalans Toni Carbos, au dessin, et Javier Cosnava, au scénario, en restituent toute l’épaisseur documentaire - le journaliste et écrivain, qui fut correspondant du Monde et du Point à Stockholm, avait profondément ancré son roman dans la culture, l’histoire, le contexte social, politique, géographique et même géologique de la Laponie. Surtout, ils taillent à même la glace un récit habité d’une violence sourde nourrie par la dureté du climat et le racisme des Scandinaves à l’égard des Lapons, et d’où émergent des personnages bruts saisis sans fioritures.
Dans la partie norvégienne de la Laponie, à Kautokeino, un tambour traditionnel a été volé au musée de Juhl, témoin de la culture lapone, auquel il avait été confié par un anthropologue français, compagnon d’aventures de Paul-Emile Victor. Simultanément, un éleveur de rennes est retrouvé devant chez lui assassiné, sauvagement poignardé et les oreilles découpées. La police norvégienne enquête, et en particulier Klemet, le seul Lapon du commissariat. Avec Nina, une policière ouverte et curieuse venue du sud du pays, celui-ci va suivre plusieurs pistes, à Kautokeino comme à Paris. Les deux équipiers se trouvent rapidement plongés dans les conflits entre éleveurs, les légendes lapones, les visées des Norvégiens sur le riche sous-sol lapon ou encore les manœuvres d’extrémistes de droite.
Ça se passe en hiver, quand le soleil demeure couché, même le jour, pendant de longues semaines. Toni Carbos fait ressortir cet oppressant clair-obscur par un dispositif narratif simple, appuyé sur des planches de cinq ou six cases où se meuvent des personnages volontiers agressifs. Ses teintes froides, bleutées ou gris clair, distillent un climat lourd, tendu, qui devient rapidement addictif.
Fabrice Piault