Livres Hebdo : HarperCollins France a 7 ans. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de cette jeune maison ?
Emmanuelle Bucco-Cancès : J’ai été recrutée en 2013 pour diriger la branche française d’Harlequin. J’ai accepté ce poste par passion. Je venais d’un tout autre secteur, j’ai eu un parcours solide de management dans des fonctions marketing et commerciales dans de grandes entreprises internationales, dont certaines américaines, et mon appétence pour le livre a motivé mon choix. En 2014, le réseau Harlequin a été racheté par HarperCollins Publishers, qui voulait s’étendre en dehors des pays anglo-saxons en s’appuyant sur des structures déjà existantes comme Harlequin. Ma mission était donc de continuer à faire vivre la maison Harlequin, mais également de recruter les équipes et de définir la stratégie pour implanter HarperCollins en France.
Avec un double objectif. Tout d’abord, offrir aux auteurs de la maison mère une publication à l’intérieur du réseau international. Que Don Winslow, par exemple, soit publié dans l’ensemble des maisons HarperCollins afin qu’il bénéficie d’un calendrier mondial coordonné de ses sorties et des moyens mis en œuvre. Le second était d’installer la marque dans un écosystème local. Le groupe HarperCollins était conscient qu’une maison n’existe qu’en proposant aussi un catalogue local. Ce changement a demandé des adaptations importantes pour la maison, et je suis très reconnaissante envers l’ensemble des salariés d’HarperCollins d’avoir su prendre ce virage. Aujourd’hui, seulement 10 % de notre catalogue est constitué de titres qui viennent du groupe. Le reste a été acquis et développé localement. Quand HarperCollins détient les droits mondiaux, nous disposons d’un droit de premier regard, mais sans obligation (cela représente environ 10 titres par an). Nous disposons d’une énorme liberté éditoriale, ce qui est une des valeurs d’HarperCollins, qui a publié des tribunes aux États-Unis sur la liberté d’éditer lorsque certains titres étaient censurés dans les écoles américaines. Avec une volonté de n'être ni politisé ni spécialisé, et d'être un éditeur grand public.
N’est-ce pas difficile, dans un marché un peu atone, d’être une maison de taille moyenne ?
Nous faisons partie d’un grand groupe mais, en France, nous sommes une maison à taille humaine qui prend les décisions de façon autonome, avec 20 millions d’euros de chiffre d’affaires et moins de 60 salariés. J’ai le sentiment que c’est un atout. Nous sommes bien structurés, avec la capacité d’accompagner des auteurs exigeants qui ont une aura conséquente. Une bonne technicité marketing, commerciale, sur les réseaux sociaux, et en même temps la volonté de proposer un service personnalisé et chaleureux. Dans maison d’édition, il y a maison, et les portes sont ouvertes…
« Nous développons la romance d'auteur »
Harlequin est structurellement en repli depuis plusieurs années. Comment gérez-vous cette branche ?
La maison a été lancée en France en 1970. C’est un modèle de séries avec des collections qui ont chacune leur ligne éditoriale : « Azur », qui fait la part belle au glamour ; « Blanche », dans l’univers hospitalier ; « Black Rose », qui lie romantisme et suspens… Nous publions 500 titres par an. L’activité est en baisse, le lectorat est vieillissant, et il est clair que ce n’est plus notre axe de développement. Mais Harlequin continue à être une activité importante qui pèse pour 45 % de notre chiffre d’affaires. Cinq personnes nous ont quittés fin 2023. Nous avons externalisé certains services, comme la composition. Et j’ai pris la décision de céder à Trésor du patrimoine – l’entreprise spécialisée qui a repris France Loisirs – l’activité de vente à distance. Ils disposent de l’infrastructure pour gérer et développer cette activité qui n’était plus stratégique pour nous.
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N'est-ce pas paradoxal, alors qu’on parle d’une montée en puissance de la romance ?
Oui, mais ce boom est basé sur la nouveauté et non sur la répétition d’une formule. Nous avons développé la marque &H qui répond à cette demande d’un public plus jeune. Nous y publions 35 titres par an, des histoires plus modernes, reflet de la richesse de la création éditoriale contemporaine dans ce domaine de romances d’auteur. Avec de très beaux succès comme The perfect match de Lyla Mars, les livres de Penelope Douglas, Colleen Hoover ou des autrices françaises repérées sur Wattpad… On a complètement embrassé ce nouveau marché.
La romance demeure donc un de vos axes de développement majeurs...
Harlequin était le spécialiste de la romance et notre but, c'est d’avoir désormais une place de généraliste à part entière. Un éditeur de livres grand public de qualité. Hors Harlequin et &H, nous publions 50 titres par an. Harper veut être présent en noir, en fiction française, en fiction étrangère et en non-fiction. On fonctionne au coup de cœur auteur, avec un plan de publication resserré – même si je sais c’est la tendance chez tous les éditeurs.
Quelles sont les perspectives financières d’HarperCollins et sa politique face à un marché bousculé par l’inflation notamment ?
Nous avons une politique de prix assez mesurée, on ne veut pas dépasser 23 € sur nos grands formats. Étant un nouvel entrant, on fait très attention à cet aspect. Nos années comptables vont du 1er juillet au 30 juin. L’année 2023 qui s’est terminée le 30 juin dernier a été un peu difficile en raison de la baisse des ventes d’Harlequin. En revanche, l’année qui a commencé le 1er juillet dernier démarre très bien, avec une progression de 75 % sur HarperCollins (hors Harlequin). Et ce en contenant la production. Je suis une incorrigible optimiste, sinon je n’aurais pas accepté cette mission. Le marché est hyper résilient, toujours au-dessus des chiffres de 2019. Quand on voit comment le développement de la romance et du manga permet de recruter des lecteurs plus jeunes, qui ensuite vont lire autre chose ; c’est un signe très positif.