La France n'est pas un film. Dans la continuité de son premier roman Les cosmonautes ne font que passer, et tout aussi fantasque, Odyssée des filles de l'Est d'Elitza Gueorguieva se rapproche à la fois de l'autofiction et du récit d'apprentissage, et raconte l'arrivée en France d'une narratrice bulgare, à l'aube de la vingtaine. C'est à Lyon qu'elle pose ses valises pour faire ses études de cinéma, et passe une première année sous l'aile d'une compatriote prostituée. « La France est le pays de la liberté, du fromage et des tramways qui parlent », remarque-t-elle à peine un pied posé dans l'Hexagone. Si on lui apprend assez vite que « les Français sont petits de taille, ont la fine bouche et de grandes gueules », elle fait aussi rapidement l'expérience des idées reçues qui entourent « les filles de l'Est ». D'abord, son accent les fait rire, « mais c'est pour être gentils ». Plus tard, c'est à la figure de la blonde, de la peau claire, de la pute, qu'elle est confrontée. Citant çà et là un site web français dédié aux hommes qui veulent « apprendre à séduire », hommesdinfluence.com, Elitza Gueorguieva rapporte le genre de considérations qu'elle a pu y trouver : « Les filles de l'Est vieillissent très mal [...]. Autant lorsqu'elles sont jeunes elles vous font perdre la tête, autant en vieillissant elles s'enlaidissent à vitesse grand V. »
Dès les premières pages, on retrouve ce ton propre à l'autrice - entre humour, ironie et fausse naïveté -, qu'elle utilise pour marquer la rencontre parfois détonante entre l'apparente candeur de la narratrice et la violente réalité des situations et des codes imposés par la culture française. « La France est un pays rempli de poètes et de peintres et devenir leur modèle s'avère un métier comme un autre, qui suppose certes d'être nue, mais aussi souple et surtout patiente, ce dont tu sais maintenant être capable. » Elitza Gueorguieva s'amuse notamment de ce qu'elle appelle les « énigmes linguistiques », des tournures de langages et des détournements d'expressions françaises. Ainsi, quand la narratrice entendait parler de la place des Terreaux, elle pensait que cela s'orthographiait « place d'Hétéros ». Ou encore comprenait « laissez-pissez » quand il s'agissait de « récépissé ». Mais il ne faut pas s'y tromper : l'humour d'Elitza Gueorguieva et son art de pointer ces interstices quasi imperceptibles pour les natifs ne sont ni tout à fait naïfs ni tout à fait innocents. Car il faut bien l'admettre : « La France n'est pas un film et Amélie Poulain est une pauvre meuf. » En parallèle de sa découverte des décalages culturels qui creusent parfois davantage encore les inégalités et les injustices, la narratrice s'aperçoit aussi des violences qui ont cours parce qu'elle est une jeune femme. Comme se faire « offrir » de l'alcool par un homme bien plus âgé qui ne doute de rien. Se faire inviter chez un camarade de fac qui se retrouve d'un coup « à l'intérieur de toi [...] tout en te demandant si ça va, et [s'apprêter] à faire semblant de prendre du plaisir ». Ou se voir proposer un rôle de pute à Pigalle (non rémunéré), pour commencer sa carrière « par la grande porte du cinéma d'auteur ».
Odyssée des filles de l'Est
Verticales
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 17 € ; 176 p.
ISBN: 9782073048936