Tout écrivain semble avoir un laboratoire infini dans la tête. Animé par une grande curiosité, Cees Nooteboom est un explorateur de l'âme, singulièrement de la sienne. Il la détricote à longueur de journée, en lisant, en voyageant, en observant le monde environnant. Parmi ses passions, il y a la botanique, qu'il savoure telle une langue étrangère. La nature qu'il aime voir évoluer et grandir à Minorque, « une île où le vent règne en maître et se déchaîne parfois, entraînant avec lui le sel de la mer ». L'octogénaire - au nom d'arbre - se régénère dans son jardin, tout en songeant à son âge avancé. « C'est comme si je me composais déjà pour partie de matière morte et qu'en même temps, il me vienne de nouveaux membres. » Nooteboom les nourrit activement en plongeant dans sa bibliothèque, enrichie de poésie, de Canetti, Gombrowicz ou Philip Roth. « Le hasard n'existe pas pour les lecteurs. » Une analyse des textes qu'il partage au fil des pages de ce cahier, composé entre 2014 et 2016. « L'écriture vit de secrets. » Comment l'auteur construit-il son monde ? Il nous fait pénétrer dans « son cabinet de travail » ou les entrailles de ses pensées. Son premier livre, Philippe et les autres (Folio, 2006), présentait un écrivain se donnant la mort, « sans doute pour ne pas avoir à le faire [lui]-même ». Sa plume romanesque en est restée muette plus d'une décennie, comme s'il fallait d'abord vivre avant de s'y remettre.
A force d'évoquer Thanatos, il exhume discrètement des fragments d'existence. « Et moi avec ma nostalgie ? » Ici et là, il se confie discrètement sur son enfance chahutée par la guerre. Ses parents étant divorcés, il rejoint sa mère à la campagne lors de l'« hiver de la faim », en 1945. Il ne verra plus son père, puisque celui-ci périt dans les bombardements de La Haye. Le garçon de 12 ans a la vie sauve, mais il reste hanté par la mort (Tumbas : tombes de poètes et de penseurs, Actes Sud, 2009). Lui qui a connu la guerre dans sa chair scrute l'actualité qui le renvoie aux « constantes de l'Histoire. Jusqu'à quel âge doit-on se soucier du monde ? Je suis né avant une guerre, mon père est mort au cours de cette guerre, ensuite il y a eu des guerres pendant tout le reste de ma vie.» Cees Nooteboom reflète néanmoins une certaine sérénité, probablement liée à la traversée de multiples saisons. Parfois, il a des interrogations puisées dans la philosophie infantile : « Où nous trouvons-nous lorsque d'autres gens rêvent de nous ? Je me regarde suffisamment dans un miroir, mais dans mes rêves je ne me suis encore jamais vu. » Si ce n'est dans ses écrits et son envie de goûter sans cesse à l'inconnu. « Il y a toujours un royaume inexploré de variantes possibles. »
533 : le livre des jours - Taduit du néerlandais (Pays-Bas) par Philippe Noble
Actes Sud
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 22,50 euros ; 288 p.
ISBN: 9782330120689