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Edition : heureux comme un Français au Québec

Une publicité d’Hugo & Cie dans le métro de Montréal. - Photo DR

Edition : heureux comme un Français au Québec

En moins de cinq ans, une demi-douzaine d’éditeurs de l’Hexagone ont créé une antenne à Montréal, non seulement pour améliorer la diffusion de leurs titres, mais surtout pour développer des programmes éditoriaux spécifiques.

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Par Marine Durand
Créé le 07.04.2017 à 01h32 ,
Mis à jour le 07.04.2017 à 09h35

De Gallimard à Hugo & Cie, les éditeurs français ne se contentent plus, au Québec, de distribuer leurs titres made in France, voire de les adapter pour mieux les diffuser. Plusieurs se lancent directement dans l’édition locale. Dernier en date, Hugo & Cie a même choisi en septembre, pour créer son bureau à Montréal, un professionnel affichant plus de quarante ans d’expérience. Pierre Bourdon est ancien libraire, ancien directeur commercial, ex-éditeur aux éditions de l’Homme et ex-directeur des achats de Renaud-Bray, la principale chaîne de librairies québécoise. "Hugo n’est pas une maison très connue ici, explique-t-il. Mon premier mandat consiste à mettre en marché les livres qui paraissent en France, avant de développer des projets locaux. Publier des auteurs québécois va aider à faire connaître la marque", précise le directeur général et éditeur, qui s’est installé dans les locaux de son diffuseur, Hachette Canada, avec Joëlle Sévigny au poste d’adjointe commerciale et éditoriale.

"Les éditeurs français ont eu pendant longtemps une sorte de monopole, mais l’édition québécoise, très dynamique, a fait un bond ces dernières années." Erwan Leseul, Edito- Photo DR

La florissante entreprise fondée par Hugues de Saint Vincent n’est ni la seule ni la première maison sous pavillon tricolore à mettre un pied au Québec. En cinq ans sont apparues successivement Michel Lafon Canada (2012), Bragelonne Québec (2013), Edito, un label éditorial de Gallimard Ltée, l’une des filiales du groupe Madrigall au Canada (2013), ou encore Auzou Canada (2017). Ces petits bureaux basés à Montréal se caractérisent par une présence forte sur les réseaux sociaux. Principale différence entre les nouveaux venus et leurs aînés, Robert Laffont Ltée, Albin Michel Canada, Gallimard Ltée ou Flammarion Ltée, implantés dès les années 1970 : ils ne se contentent pas d’importer les titres les plus porteurs de la maison mère, ils bâtissent aussi un catalogue spécialement adapté au Québec.

La fin d’un monopole

"Nous avons toujours prêté attention au marché québécois, qui représente 10 % de nos ventes. Mais il a ses propres règles, ses propres lois, ainsi qu’une demande différente. Nous avons eu envie d’ajuster notre offre", justifie Séléna Bernard, responsable du marché canadien et de son développement pour Bragelonne. Détachée à Montréal depuis septembre 2013, elle revendique un accompagnement "sur mesure" des titres importés et, après avoir développé une quinzaine de projets dont certains avec des auteurs québécois en 2016, vise le double cette année. En octobre, elle publiera une romance qui se déroule dans le milieu du hockey sur glace. "Si un Français s’était lancé sur le sujet, en parlant de palet au lieu de rondelle et de crosse au lieu de bâton, il n’aurait pas été très crédible !" s’exclame-t-elle.

Gauthier Auzou, qui a créé le département jeunesse de la maison fondée par son père, met en avant son amour du Québec, né avec ses premiers voyages au pays en tant qu’éditeur. Il a commencé à publier en 2009 des albums sur les animaux du Canada ou sur les peuples amérindiens. "Nous n’avons pas fait de plan stratégique ou de PowerPoint, assure-t-il. Notre production dédiée, coordonnée depuis Paris, s’est accrue progressivement jusqu’à atteindre 25 titres sur 200 nouveautés par an." Il était dès lors "logique de travailler avec une éditrice québécoise". C’est ainsi que Valérie Ménard, après douze ans chez Phidal, s’est lancée en free-lance pour la maison, hébergée dans les locaux de son diffuseur, Flammarion.

Pour Pierre Bourdon, cette soudaine ruée vers le supposé eldorado québécois ne relève pas seulement du coup de cœur, mais procède d’"un changement majeur". "Alors qu’il y a vingt ans, le livre québécois n’occupait que 20 % du marché, il a progressé jusqu’à assurer 40 à 45 % des ventes tous secteurs confondus, au détriment des parts de marché des Français. Les éditeurs québécois ont d’abord réinvesti le champ du livre pratique, et une nouvelle vague de maisons littéraires enregistre aujourd’hui de beaux succès", analyse-t-il. Erwan Leseul, à qui Florence Noyer, la directrice de Gallimard Ltée, a confié le développement d’Edito, fait le même constat : "Les éditeurs français ont eu pendant longtemps une sorte de monopole, mais l’édition québécoise, très dynamique, a fait un bond ces dernières années. Nous avons souhaité participer à ce mouvement, tout en nous démarquant de Gallimard dans le nom", à l’inverse du pionnier Flammarion Québec, qui publie des livres québécois depuis 1998.

Prix adaptés

Editeur généraliste grand public, Edito réalise 40 % de son chiffre d’affaires avec des créations et 60 % grâce aux achats de droits, acquis y compris auprès de maisons françaises. Imprimés au Canada, les livres ne sont pas soumis à la tabelle, appliquée par les diffuseurs aux livres importés. Il en va de même pour les titres de Bragelonne produits localement. Hugo & Cie revendique des prix "adaptés au marché d’ici", tandis que Gauthier Auzou, qui importe tous ses livres, "refuse le système de tabelle pour proposer aux lecteurs des prix justes", sans entrer dans le détail des négociations avec son diffuseur.

La conjonction de ces initiatives a toutefois éveillé la vigilance des professionnels québécois. Dès la fin de 2013, dans une tribune publiée sur le site de l’Association nationale des éditeurs de livres (Anel), Frédéric Brisson, responsable du programme de 2e cycle en édition de l’université de Sherbrooke, voyait dans la création d’Edito un contournement de la "politique sur les investissements étrangers dans l’industrie du livre", en vigueur au Canada. Pour Pascal Genêt, directeur de la maison de littérature XYZ, filiale du groupe HMH, "certes, ces maisons ne profitent pas des subventions fédérales et provinciales qui nous sont accordées, mais elles bénéficient des moyens importants des maisons mères en France. On ne se bat pas à armes égales", estime-t-il, évoquant les publicités pour la série Calendar girl d’Hugo & Cie placardées dans le réseau du métro de Montréal, alors que la pratique est rare au Québec.

Plus nuancé, son collègue Jean Pettigrew des éditions Alire, spécialisées en fantasy et science-fiction, ne voit pas les nouveaux arrivants comme des compétiteurs. Mais il reconnaît une forme de concurrence dans le recrutement des auteurs. "Au Québec, déplore-t-il, on a un réflexe de population colonisée, et l’on trouvera plus prestigieux d’être publié par des Français que par des Québécois alors qu’en parallèle les éditeurs québécois ont beaucoup de mal à être diffusés en France." Pierre Bourdon, qui publiera à l’automne ses premiers titres originaux, considère que ces critiques se trompent de cible. "Les lecteurs québécois auront une offre plus diversifiée et moi, je préfère me chicaner avec ceux qui ne lisent pas plutôt qu’avec d’autres éditeurs, lâche-t-il. Les best-sellers, cela profite à tout le monde et cela amène du monde en librairie."

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