"Je veux bien être écrivain et cinéaste. Je ne veux pas être écrivain de cinéma", affirmait Jean Giono. Le cinéma et la littérature ne sont pas qu’affaire d’adaptations ou de novélisations. Dans son essai, Les écrivains du 7e art, paru le 31 mars (Séguier), le critique Frédéric Mercier y voit plutôt une liaison passionnelle qui dure depuis l’invention du cinéma. Dès 1905, on veut "faire fructifier la littérature avec cet art naissant et populaire, explique l’auteur. Le sujet a été déjà traité cent fois et on parle un peu toujours des mêmes. J’avais envie de m’intéresser à des expériences ponctuelles, les one shot, les films oubliés."
Le livre cherche à comprendre pourquoi les écrivains ont eu cette tentation du cinéma, art adoré et pourtant si cruel avec eux. Car s’il est raté, le passage du romancier au cinéaste "ne pardonne pas". Romain Gary, Bernard-Henri Lévy, Yann Moix peuvent en témoigner. L’essai fait ainsi ressurgir autant les désillusions que les fascinations. Il s’agit d’un jeu de séduction mutuel : des surréalistes qui voulaient décliner leur fantasmagorie aux producteurs qui réduisaient l’écrivain à un bon dialoguiste pour un art devenu parlant.
Deuxième métier
Recherche archéologique dans l’histoire du cinéma et de la littérature, le livre de Frédéric Mercier fourmille d’anecdotes : Apollinaire et Aragon, fans des Fantômas ; Romain Gary avouant que Chaplin et les Marx Brothers sont ses "plus fortes influences littéraires". En mettant à égalité littérature et cinéma, Les écrivains du 7e art réhabilite des auteurs comme Julien Green : "Personne […] ne s’est vraiment par exemple intéressé à [lui] alors qu’il a écrit quelques scénarios", rappelle Frédéric Mercier. Pour Modiano, Prévert ou Carrère, le cinéma constitue un prolongement logique de leur œuvre littéraire. D’autres en font leur deuxième métier, tels Joseph Kessel, Roger Nimier, dont la notoriété des films a dépassé celle de ses livres, ou encore Paul Gégauff, plus réputé comme scénariste que comme écrivain, en plus de faire l’acteur et d’inspirer la nouvelle vague. Sans oublier Sagan qui signe quelques scripts et même un roman-scénario, précurseur des page-turners, La garde du cœur.
Cependant, le travail collectif, la pesanteur de la machinerie, les compromis nécessaires, les contraintes narratives et le temps long de la fabrication d’un film ont souvent empêché ces écrivains d’assouvir leur désir. De nombreuses œuvres n’ont jamais vu le jour. Toutes ces frustrations artistiques ont laissé à René Char, Jean Giono ou Romain Gary une opinion sévère et amère à l’égard de cette industrie frileuse. Même si le 7e art irrigue leur écriture, les rêves de Céline comme ceux de Blaise Cendras ont été brisés, et Voyage au bout de la nuit comme L’or n’ont jamais été adaptés.
Ces déconvenues laissent des traces, et on parle encore de caprices, d’illégitimité, de rivalité dès qu’un écrivain s’essaie au cinéma, en ignorant leur envie d’images et leur appétence pour un nouveau langage. Il ne s’agit pas d’écrire en vue d’être adapté mais d’utiliser le cinéma pour s’exprimer. Pour Joann Sfar, Virginie Despentes, François Bégaudeau et Michel Houellebecq, l’écrivain tente toujours de se placer derrière ou devant la caméra. "Faire du cinéma, c’est une passion, comme se piquer à la morphine. Une fois qu’on y a goûté, il n’y a plus moyen d’y renoncer", écrivait Blaise Cendrars en 1925. A l’instar de Marcel Pagnol, Jean Cocteau, Sacha Guitry, Marguerite Duras ou Christophe Honoré, tous espèrent qu’"on ne dissociera plus vraiment les deux arts" dans leur œuvre.