Quand c'est fini, ça recommence. Dix-huit mois après la fin de cinq ans de célébration du centenaire de la Grande Guerre, événement historique éditorialement toujours fertile, une adaptation des Croix de bois, de Roland Dorgelès, inaugure le nouveau département BD d'Albin Michel. Publié par le fondateur de la maison en 1919, lauréat du prix Femina après avoir manqué le Goncourt face à A l'ombre des jeunes filles en fleur, de Marcel Proust (Gallimard) - épisode qui a suscité de vives controverses dans la presse et un conflit aigu entre les deux éditeurs -, ce roman puissant sur la guerre des tranchées était inspiré des souvenirs de l'auteur, engagé en 1915. Grâce à une construction et des partis pris graphiques subtils, qui font s'entremêler des éléments de la vie de Dorgelès avec le cours du roman, JD Morvan, au scénario, et le dessinateur argentin Facundo Percio en tirent une œuvre forte et originale, bien au-delà de l'adaptation littérale.
Pour son roman, qui retrace sur quelques mois le quotidien édifiant d'une escouade de l'armée française et les liens noués dans l'enfer des tranchées par des soldats de personnalité et de milieux différents, Roland Dorgelès avait déjà brouillé les pistes. Il faisait jouer l'essentiel de son rôle « réel » sous l'uniforme à un certain Gilbert Demachy, étudiant en droit, Parisien un peu naïf qui conquerra l'estime de ses camarades, voire à Sulphart, grande gueule mais bon cœur, originaire de Rouen. Lui-même s'incarnait, comme narrateur, dans le personnage plus neutre de Jacques Larcher, un écrivain.
J.-D. Morvan et Facundo Percio suivent Gilbert Demachy de Paris à Dormans. Ils l'accompagnent, avec ses camarades, de l'arrière à l'avant, des fermes délabrées aux champs de bataille boueux de Neuville-Saint-Vaast. Le dessinateur livre en noir, blanc et bistre des planches fortes, charbonneuses, où se lisent la désolation et la crasse, l'ennui, le dégoût, la peur et la témérité qui font ici bon ménage. Mais, introduisant des gris et, comme en sourdine, d'autres couleurs, les deux auteurs mettent aussi parallèlement en scène Dorgelès lui-même, ses relations haut placées, ses amis écrivains, ses rapports avec son éditeur et surtout l'éloignement de son épouse, Madeleine, qui le mine au front. Et livrent ainsi les clefs de l'œuvre originale.
Les croix de bois
Albin Michel
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 104 p. en coul.
ISBN: 9782226445629