15 mai > Histoire Allemagne

Ces deux livres sont comme les deux actes d’une même tragédie. D’abord la guerre et la manière dont elle fut vécue, ressentie de l’intérieur par ces soldats allemands dont les conversations ont été enregistrées par les Britanniques. Et puis après la guerre, comment cette mémoire a été évacuée, transformée, apprivoisée dans les familles allemandes, à l’Ouest et dans l’ex-RDA.

La matière de Soldats est constituée de ces paroles relâchées, sans garde-fou. Pendant toute la guerre, les Britanniques avaient procédé à des écoutes systématiques de milliers de prisonniers allemands. Tous ces procès-verbaux ont été conservés et rendus accessibles en 1996. Et ils révèlent un territoire mental sur la perception du nazisme.

C’est tout le sujet de ce travail impressionnant mené par deux experts. Harald Welzer a déjà analysé dans une remarquable étude comment des hommes normaux deviennent des meurtriers de masse (Les exécuteurs, Gallimard, 2007). Sönke Neitzel, historien allemand, enseigne à l’université de Glasgow. C’est lui qui a découvert ces archives qui n’intéressaient personne.

De ces papiers, le sociopsychologue et l’historien ont tiré un ouvrage stupéfiant. Les soldats racontent des banalités, comme s’ils étaient des touristes en Russie ou ailleurs, puis une exécution, un viol, un massacre. Un lieutenant de la Luftwaffe confie que l’expérience de la violence lui procure des picotements. Chacun suit les ordres et chacun finit par y prendre du plaisir. Des militaires d’à peine 20 ans exécutent d’une balle dans la nuque des hommes ou des femmes, tandis qu’un général s’indigne : « Ces assassinats, ça n’est pas un métier ! On n’a qu’à donner ça à faire à des voyous. »

Dans la Wehrmacht ou les SS, les soldats sont la guerre. On leur désigne des adversaires et ils tuent. Il faut lire les deux premiers chapitres lumineux sur le comportement en temps de guerre où sont pris en compte tous les paramètres. « Sous l’angle psychologique, les habitants de l’Allemagne nationale-socialiste étaient aussi normaux que n’importe quelle société d’Europe. »

Pour compléter ce terrible tableau, « Grand-Père n’était pas un nazi » est une suite logique. Il s’agit d’entretiens menés rigoureusement dans quarante foyers allemands pour comprendre la mémoire familiale, celle des placards avec des cadavres, des boîtes de photos jaunies et des lettres illisibles. Avec le temps, il n’y a pas que l’encre qui a pâli. Le remords a rendu certains mots imprononçables. Alors on a préféré transformer des gestapistes en résistants et des antisémites en protecteurs des Juifs… Voici une histoire qui ne part pas de la Shoah, mais qui explique comment on y est parvenu.

Laurent Lemire

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