11 novembre 2018, Grande Halle de la Villette. A l'invitation d'Emmanuel Macron, près de 75 chefs d'Etat et dirigeants d'organisations internationales se sont donné rendez-vous pour le tout premier Forum de Paris sur la Paix. Inspiré du succès de la COP 21, l'événement rassemble les acteurs de la gouvernance mondiale au service d'une meilleure coopération globale, et compte son lot d'actes symboliques. Poèmes à Lou, Un long chemin vers la liberté, Si c'est un homme... Chaque participant est ainsi invité à déposer un livre dans la Bibliothèque de la paix. Pour figurer aux côtés de Guillaume Apollinaire, Nelson Mandela et Primo Levi, le secrétaire général de l'OCDE, le Mexicain José Angel Gurría, choisit Les quatre accords toltèques de Don Miguel Ruiz. Signe du destin hors normes de ce petit ouvrage de développement personnel, qui vaut au chamane mexicain de parcourir la planète depuis vingt ans pour répandre les règles de vie de ses ancêtres toltèques. Et qui vaut à deux de ses fils, Don Miguel Jr et Don José Ruiz, de transmettre à leur tour, depuis une petite décennie, les enseignements des prédécesseurs des Aztèques dans la chronologie méso-américaine.
Aller simple
Pour décrire sa première rencontre avec Miguel Angel Ruiz en 1999 au Mexique, Olivier Clerc parle d'un « voyage aller simple », tant l'expérience a bouleversé le cours de sa vie. Quelques mois auparavant, le traducteur et directeur de collection chez Jouvence a acheté « pour une bouchée de pain » les droits de son premier titre publié au Etats-Unis aux éditions Amber Allen, Les quatre accords toltèques, sur les conseils d'une amie journaliste installée à Santa Fe, Maud Séjournant. Encore inconnu, le guérisseur apprend à ses lecteurs à se détacher de leurs croyances limitatives acquises depuis l'enfance, et à trouver le chemin de la liberté et du bonheur en suivant quatre maximes de vie : Que votre parole soit impeccable - Ne réagissez à rien de façon personnelle - Ne faites aucune supposition - Faites toujours de votre mieux.
Rien de nouveau sous le soleil du Nouveau-Mexique, où le courant New Age rencontre depuis longtemps la culture amérindienne ? « Les personnes qui sont dans une démarche de développement personnel ont parfois du mal à mettre la théorie en pratique. Ici, c'est la pratique qui permet de comprendre la théorie et de l'appliquer », détaille le fondateur de Jouvence, Jacques Maire. Il a vendu plus de 2 millions de livres signés Don Miguel Ruiz en langue française, et les ventes des Quatre accords augmentent chaque année. « Il a réussi à formuler ces enseignements de manière très simple, sans pour autant être simpliste », renchérit Olivier Clerc, qui souligne l'important travail de son éditrice américaine Janet Mills, coauteure de six de ses livres à partir d'enregistrements audio : « Miguel est un homme de l'oralité, qui a été en apprentissage auprès de sa mère, Madre Sarita, qui tenait elle-même le savoir toltèque de son père. Il a naturellement transmis la tradition à ses fils. C'est comme ça que cela se passe dans la famille. »
Né en 1952, petit dernier d'une fratrie de 13 enfants, Miguel Angel Ruiz n'a pas tout de suite embrassé la carrière de chamane. Pendant des années, l'homme aux 9 millions de ventes aux Etats-Unis a été neurochirurgien. Après un accident de voiture, et une expérience de mort imminente, il décide de se reconnecter à ses racines. Pour José Ruiz, son fils cadet, la filiation était plus naturelle. « Dès mes 8 ou 9 ans, je disais à mon père et à ma grand-mère paternelle que je voulais faire comme eux, raconte à Livres Hebdo ce gaillard d'une quarantaine d'années, aux longs cheveux noirs. Mais il a d'abord fallu que je me perde, que je traverse plusieurs épreuves avant d'apprendre à ouvrir mon cœur », explique-t-il, en référence à ses années d'addiction à la drogue lorsqu'il était adolescent à Tijuana. Dernier à rejoindre son père aux Etats-Unis après le divorce de ses parents, il est le premier de la fratrie à entrer en apprentissage auprès de son père en 2002. Don Miguel a alors 50 ans et vient de faire une crise cardiaque qui ébranle toute la famille. L'événement confirme aussi une prédiction du grand-père de Miguel. « Il lui avait dit, enfant, qu'il diffuserait le savoir ancestral en Europe, mais après avoir sacrifié son cœur. Cela prenait soudain tout son sens », raconte Olivier Clerc.
Se construire
Maud Séjournant, qui a préfacé la version française des Quatre accords toltèques, se souvient d'une famille soudée et « passionnée de foot », qu'elle fréquente régulièrement au début des années 2000, dans le cadre de stages d'apprentissages avec Don Miguel Ruiz à Santa Fe. « Miguel Ruiz Jr, le frère aîné, regardait tout ça d'un peu plus loin. Il est venu à l'enseignement sur le tard. » Auprès de ce père à la « personnalité extrêmement puissante », les deux aînés trouvent peu à peu leur voie, et leur place dans la famille. « Ma grand-mère m'avait dit un jour : "si tu me copies, tu vas tuer la tradition. Si tu copies ton père, tu vas tuer la tradition. Construis-toi toi-même." J'ai donc appris à désapprendre », se remémore Don José, qui développe dès lors une pensée autour d'un nouvel accord - « Soyez sceptiques mais apprenez à écouter » - et signe son premier livre, Le cinquième accord toltèque, avec son père en 2011. Interprète de longues années pour sa grand-mère Madre Sarita, « un peu plus intello », selon Olivier Clerc, Miguel Ruiz Jr se lance dans l'écriture en 2013 avec Les cinq niveaux d'attachement, une vision moderne des accords toltèques qui incite à se détacher « de ce que l'on sait » pour devenir « qui on est ».
Grande lignée
Suivront quatre ouvrages, succès de librairie. « Mon père a appris à mon frère à développer son intellect, à se plonger dans les livres, et moi, je suis devenu chamane. Nous représentons tous les deux une partie de ce qu'il est », résume aujourd'hui Don José, qui vient de signer son quatrième livre, La sagesse des chamans, à paraître en juin chez Trédaniel.
Compagnon de route de la famille Ruiz, apprenti de Don Miguel et auteur lui aussi de livres de développement personnel, Brandt Morgan a assisté au passage de témoin entre le père et ses fils. « Miguel leur a confié de plus en plus de responsabilités au fil des années, il les a exhortés à donner des cours, à partager leur amour de la tradition toltèque. Mais il les a aussi encouragés à faire preuve de créativité, à proposer de nouvelles façons d'exprimer les anciennes vérités. Et surtout, il leur a donné beaucoup de liberté et d'amour. »
Pour préparer la suite, et s'assurer de voir diffusée encore longtemps la pensée toltèque,« Miguel participe encore à des stages, à des conférences, mais ce sont des événements fatigants pour lui, et je le vois se mettre en retrait pour laisser davantage de place à ses fils. C'est la continuation d'une grande lignée toltèque », observe Maud Séjournant. Plus discret, Léonardo, le benjamin, est lui aussi impliqué dans la saga familiale, tenant le rôle de directeur commercial. La génération suivante tarde en revanche à voir le jour. Cela n'inquiète pas outre mesure Don José, qui n'a pas d'enfants « mais quatre jeunes chiens » : « Mes enfants, ce sont toutes ces personnes que je rencontre au fil de mes conférences, et qui partagent eux aussi l'amour de la tradition toltèque. »
Un business mondial
Je suis mal à l'aise avec ce genre de livres et d'auteurs. D'un côté, des conseils de bon sens, pertinents, et proposés de manière claire, concrète, encourageante : tout va bien. De l'autre, plusieurs choses qui me semblent problématiques : une supposée sagesse toltèque, dont il n'existe évidemment aucune trace écrite ni aucune preuve historique de transmission orale effective ; une marque déposée, afin de contrôler un business mondial de formations apparemment juteuses ; une PME familiale pour verrouiller le tout. L'essentiel reste sans doute le bien que ces livres ont fait à de nombreux lecteurs. Mais je ne peux ni cautionner ni applaudir les auteurs... Christophe André