Le marché des guides touristiques est plus que jamais à deux vitesses. D'un côté, les guides France qui restent en repli et les courts séjours, habituellement les plus prisés, qui confirment les signes d'essoufflement observés en 2017. De l'autre, des concepts éditoriaux un peu différents rencontrent leur public, avec l'engouement croissant pour les livres d'inspiration ciblant les destinations monde et Europe ou la vitalité des guides monde qui offrent autant de planches de salut aux éditeurs.

La percée la plus notable reste celle des livres d'inspiration, en pleine mutation : un nombre croissant de titres ont en effet adopté le format beau livre tout en conservant un contenu d'inspiration pure. Certes, les guides d'inspiration classique, à couverture souple et en plus petit format, constituent d'importants relais de croissance, tant au Routard que chez Lonely Planet, Michelin ou Prisma, mais ils cèdent du terrain face aux formats hybrides.

Le best-seller Voyages : tout un monde à explorer (Le Routard), dont plus de 40 000 exemplaires se sont écoulés selon GFK depuis sa publication fin 2017 - suivi en 2018 par Road-trips et Italie -, a largement contribué aux bons résultats d'Hachette Tourisme. « Nous étions à - 0,2 % fin novembre et nous avons terminé l'année à + 1,9 %. Le secret, ce sont les beaux livres », souligne Philippe Gloaguen, fondateur du Routard. La marque va donc continuer sur sa lancée et annonce pour fin 2019 deux nouveaux beaux livres d'inspiration consacrés à la France et aux Etats-Unis.

Dans la même veine, Lonely Planet publiera à la fin de l'année un Atlas Lonely Planet au même format que le volumineux Travel book et une série de livres dédiés aux plus belles randonnées du monde.

Signe des temps, le long-seller 120 pays - 7 000 idées (Geobook), premier guide d'inspiration lancé sur le marché en 2007, s'est converti à la couverture rigide et au dos toilé pour sa nouvelle édition 2018. « Nous avons aussi décidé de le publier en septembre pour nous positionner sur les fêtes de fin d'année alors que jusqu'à présent le titre paraissait au printemps », précise Françoise Kerlo, directrice éditoriale chez Prisma. Un pari gagnant sur le plan comptable puisque les ventes ont progressé. De la même manière, chez Ouest-France, Envies d'évasion en France, qui paraît le 22 mars, « réunit pour la première fois toutes les facettes du tourisme dans une même publication, assure Hervé Chirault, responsable du secteur tourisme. On peut le considérer comme un guide d'inspiration dans un format beau livre avec une mise en page moderne et soignée. » L'éditeur québécois Ulysse réalise quant à lui ses meilleures ventes dans l'Hexagone grâce à la collection « Itinéraires de rêve », qui s'enrichira en fin d'année de L'Europe à moto.

Passerelles

La tendance profite aussi à certains guides culturels travaillés comme des beaux livres. Chez Ulysse, la collection « Fabuleux » se situe ainsi « à cheval entre le guide d'inspiration et le guide classique, selon son fondateur Daniel Desjardins. Les guides pratiques subissent la concurrence d'Internet, contrairement au beau livre, qui se porte bien aujourd'hui. »

C'est aussi le cas d'« Encyclopédie du voyage » chez Gallimard Loisirs, qui « réussit la performance de se maintenir alors que le segment des guides culturels perd 8 % », selon la directrice générale Line Karoubi. Gallimard Loisirs annonce « des aménagements » pour « Encyclopédies du voyage » dans le courant du second semestre et n'exclut pas de développer les beaux livres - en grand format cette fois - d'ici à la fin de l'année. Dans cette veine, l'éditeur publie déjà en mars Vivre le Japon ou En van autour du monde. « Immersion, expérience ou bien-être sont des mots qu'on ne trouvait pas dans le lexique des guides il y a quelques années. Il y a des passerelles évidentes avec l'univers du beau livre », ajoute Line Karoubi.

Des passerelles se forment aussi avec le secteur du développement personnel, à l'image de Se déplacer et voyager sans stress ou Je voyage équitable, c'est parti ! parus en début d'année chez Jouvence, ou le guide Tour du monde engagé, annoncé par Viatao. A petite échelle, la collection « Quelque chose de » inaugurée début 2018 par Nanika s'inscrit également dans la tendance de l'expérience personnelle du voyage et poursuit son développement avec trois nouvelles destinations en 2019 : Nouvelle-Zélande, Bali et Afrique du Sud.

Le phénomène en est à ses balbutiements, contrairement aux beaux livres culturels d'inspiration qui voient fleurir de nouveaux concepts : Prisma renforce ainsi son ancrage dans l'inspiration en lançant le 14 mars, sous la marque Heredium, une collection « Atmosphères » de petits guides de 192 pages à 16,95 euros, sans photos, avec quelques rares illustrations. « Ces guides proposent une approche thématique de la ville dans une mise en page sobre et élégante, détaille Françoise Kerlo. Nous avons voulu nous dégager du côté pratique, le lecteur n'y trouve vraiment que de l'inspiration. »

De son côté, Louis Vuitton enrichit ses carnets d'artistes « Louis Vuitton Travel Book » de deux nouveautés consacrées à Los Angeles et Séoul. « La collection a trouvé sa place en librairie et gagné une vraie crédibilité auprès des amateurs d'arts visuels, s'affirmant sur un positionnement créatif original », indique le directeur éditorial Julien Guerrier.

De la même manière, les éditions du Patrimoine jouent pleinement sur la dimension culturelle des titres de leurs différentes collections, majoritairement vendus dans le réseau du Centre des monuments nationaux, mais dont les courbes de ventes progressent vite dans les libraires traditionnelles selon Clair Morizet, chef du département commercial. L'éditeur est régulièrement sollicité par des institutions pour de nouveaux projets éditoriaux ; il a notamment publié début mars le beau livre Les châteaux de la Loire.

Chez Hachette Tourisme, les « Guides bleus », clairement identifiés comme des guides culturels, maintiennent leur niveau de vente « grâce au travail de diversification » opéré récemment, souligne Nathalie Pujo, directrice d'Hachette Tourisme. Après la refonte des guides classiques, l'éditeur a développé les formats annexes autour de la marque « Guides bleus » (Carnets, Us et coutumes, Beaux livres), générateurs de ventes additionnelles, « modestes mais régulières ».

Les guides moyen séjour

Si le segment de l'inspiration, parfois mâtiné de culturel, a le vent en poupe, il n'est pas le seul. Il en est un autre que les éditeurs voient grandir année après année : celui des guides de moyen séjour, tout en couleurs, à pagination intermédiaire (« Evasion » chez Hachette, « L'essentiel » chez Lonely Planet...). « Tous éditeurs confondus, ce segment progresse de 20 %. Il a été particulièrement porteur pour nous grâce à la collection "Géoguide Coups de cœur"que nous avons lancée fin 2017 », souligne Hélène Firquet, directrice éditoriale guides chez Gallimard Loisirs. L'éditeur poursuit l'implantation de la collection avec 11 nouveautés, ce qui portera à 34 le nombre de titres d'ici à la fin de l'année. La conséquence de ce déploiement est l'arrêt de la commercialisation de la collection « Mode d'emploi », en perte de vitesse depuis plusieurs années et trop proche du positionnement de « Coups de cœur ». Chez Hachette, « Evasion » s'enrichit de deux nouveautés (Ecosse et Californie) et répond à l'engouement des voyageurs pour les destinations monde, tandis que Lonely Planet annonce pour octobre L'essentiel de l'Islande.

Les grandes collections enregistrent toutes de bons résultats sur les destinations lointaines comme l'Australie, la Colombie, le Japon, l'Afrique du Sud ou le Sri Lanka. Les éditeurs continuent d'alimenter leur catalogue. Au printemps, Lonely Planet publie des nouveautés sur Italie du Nord et Tokyo, Kyoto et alentours, et annonce pour septembre un guide dédié au Panama. Gallimard publie un « Geoguide » Malte en avril. Le retour en grâce du Maroc comme destination de vacances des Français conduit les éditeurs à actualiser des titres laissés à l'abandon depuis 2011 : c'est le cas d'Hachette Tourisme au sein de la collection « Evasion » et qui publie aussi Un grand week-end à Marrakech.

Remaniements et changements de nom

Sur le front des refontes, le début d'année s'annonce calme. Parmi les collections des principaux éditeurs, seuls les guides culturels « Guides Voir » (Hachette) et la collection épicurienne « Le carnet » (Michelin) font l'objet d'un remaniement d'ampleur au premier semestre. S'appuyant sur une nouvelle couverture et une nouvelle maquette intérieure, les « Guides Voir » restent fidèles à eux-mêmes (nombreuses illustrations, dessins de monuments en éclaté...) tout en s'enrichissant d'un chapitre d'inspiration en début de chaque titre. Désormais brochés, les guides seront moins lourds et moins chers, passant sous la barre des 20 euros.

« Le carnet » change quant à lui de nom et devient à compter d'avril « Food & travel ». « La collection repose sur la complémentarité très forte chez Michelin entre la gastronomie et le voyage », explique Philippe Orain, directeur éditorial guides. Sur ce même double positionnement carnet de voyage-carnet de recettes, Nanika annonce pour la fin de l'année une nouvelle collection : « La nourriture est l'un de ces langages universels qui fédèrent et qui parlent à tout le monde au-delà des mots, indique la fondatrice Elise Ducamp. C'est ce que nous allons essayer de montrer dans cette nouvelle collection. » Parallèlement, Michelin capitalise sur son image d'expert en cartographie avec la série de plans de ville « Streetwise », dont 24 titres ont été lancés fin 2018. L'éditeur met en sommeil la collection « En un coup d'œil », qui peinait à s'imposer depuis son lancement en 2015.

D'autres collections sont revues à la marge. Les « Cartoville » (Gallimard) bénéficient de nouvelles éditions augmentées de 20 pages proposant désormais une sélection d'incontournables, un programme de visites sur trois jours ou des balades thématiques.

Les difficultés inhérentes aux destinations hexagonales conduisent également les éditeurs à des mesures spécifiques. Chez Lonely Planet, les couvertures des guides France sont revues et s'intègrent désormais dans une série « Explorer » nouvellement créée à compter d'avril. « Nous sommes challenger sur les destinations France, rappelle Frédérique Sarfati-Romano. Avec l'appellation Explorer, nous voulons mettre l'accent sur l'aspect visuel de la collection. » De son côté, Michelin continue de scinder certains de ses titres : début 2020, « Le guide vert » Charentes et Poitou sera découpé en deux volumes distincts.

A vélo

Sur le segment bien particulier des guides à vélo, Le Routard poursuit son offensive en règle. Avec seulement six titres au catalogue, la marque du groupe Hachette s'est imposée comme un élément incontournable. « Le vélo a la particularité d'être un marché de niche, avec beaucoup de petits éditeurs locaux, décrypte Philippe Gloaguen. Nous sommes les seuls à avoir une diffusion nationale, ce qui nous permet d'investir dans une cartographie de qualité. » Cette année, Le Routard publie La Bourgogne du Sud à vélo. Les concurrents n'abandonnent pas le terrain pour autant : les éditions Ouest-France affichent leur volonté de « garder le cap en faisant des mises à jour chaque année », rappelle Hervé Chirault. L'éditeur décline aussi la thématique vélo avec les atlas des plus belles voies vertes et véloroutes de France et du Grand-Ouest, « qui ont reçu un très bon accueil en librairie ».

Au Petit Futé, la refonte l'automne dernier des « City France trip » a mis l'accent sur les coups de cœur, les rencontres et les découvertes. L'adoption d'un format magazine destiné à rétablir leur implantation chez les marchands de journaux, a également été « très bien accueillie en librairie », se félicite le cofondateur Jean-Paul Labourdette. Pour l'éditeur, l'enjeu majeur de la fin 2019 sera la nouvelle formule de sa grande collection « Country guide », riche de presque 250 titres. « Il est encore trop tôt pour en parler en détail, mais je peux dire qu'il ne s'agira pas d'un simple lifting, assure Jean-Paul Labourdette.Nous avons tenu compte des avis de notre communauté de lecteurs, il s'agit d'un travail de grande ampleur. » En attendant, le Petit Futé complète cette année son catalogue avec plusieurs destinations inédites : la Corée du Nord, le Malawi et les Comores.

Les guides de ville se réinventent

Face à la relative désaffection pour les très grandes villes, les destinations secondaires et les concepts innovants continuent d'offrir de bonnes perspectives aux éditeurs.

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Le tassement des guides court séjour ville s'est confirmé en 2018, même si à y regarder de plus près, « ce sont les villes du top 10 qui souffrent », rappelle Frédérique Sarfati-Romano, directrice déléguée pôle illustré tourisme chez Lonely Planet. Londres, New York ou Barcelone ont perdu de 20 à 40 % en cinq ans et « plombent » littéralement le segment alors que beaucoup de destinations (Porto, Naples, Budapest...) maintiennent de forts taux de croissance. Au Petit Futé, Gênes est même le guide ville le plus vendu. « Le marché reste tonique sur les destinations émergentes, qui sont d'ailleurs celles où le besoin d'informations est le plus pressant », ajoute Frédérique Sarfati-Romano.

Les villes à fort potentiel

Les éditeurs continuent de couvrir les villes à fort potentiel. Les collections « Un grand week-end » (Hachette Tourisme) et « En quelques jours » (Lonely Planet) s'enrichissent de nombreuses nouveautés. La maquette d'« En quelques jours » a été modernisée avec un rabat sur la couverture indiquant les principales curiosités de chaque ville. Chez Michelin, la refonte des « Guide Vert Week-end », devenus en octobre 2018 les « Guide Vert Week&Go », s'est traduite par plusieurs lancements. « Les ventes de "Guide Vert Week-end", puis "Week&Go", ont progressé de 5 %. C'est la plus forte progression sur le segment », se réjouit Philippe Orain, directeur éditorial guides.

Parallèlement, les challengers trouvent leur public avec des formules atypiques. Le dirigeant-fondateur de Jonglez, Thomas Jonglez, note une hausse des ventes de 11 % grâce à sa collection « Insolite et secrète » et dresse un bon bilan de la série « Soul of », dont le concept est de proposer un nombre restreint d'adresses exceptionnelles. Inaugurée l'automne dernier avec Soul of Tokyo, elle s'enrichira en mai de deux nouveautés dédiées à Los Angeles et Lisbonne. Pour les fans de culture pop et de voyage, un journaliste Nicolas Albert et un webmaster Anthony Thibault ont lancé fin 2017 Fantrippers, qui propose un site collaboratif et des guides permettant de visiter une ville sur les traces de ses héros préférés. En mai arrivera Londres, après New York et Paris.

Les Arènes abandonnent leur série « Out of the box » mais pas les guides ville. Elles ont publié fin octobre Tokyo : le guide idéal. « Le grand Tokyo est couvert dans son ensemble, ça ne collait pas avec le concept "Out of the box" », explique le dirigeant-fondateur Laurent Beccaria, qui annonce également pour mars 2020 un premier guide pays... consacré au Japon. « Nous n'avons pas l'ambition ni les moyens de lancer de grandes collections. Nous nous focalisons sur le Japon qui nous sert de laboratoire avant de démarrer d'autres projets. »

Un collectif de blogueurs pour le guide Montréal

Chez Nomades, la nouvelle édition du best-sellerGo New York, rédigé par le blogueur Alex les bons plans, est l'enjeu de ce début d'année. Pour la première fois en 2019, l'éditeur confie à un collectif de blogueurs la rédaction du guideMontréaldans sa collection « L'essentiel ». Louis Vuitton poursuit la stratégie d'implantation de ses « City Guide » en librairie et publiera un titre collector consacré à Arles à l'occasion des 50 ans des Rencontres de la photographie. Enfin, Henry Dougier lance le 28 mars « 10 + 100 », collection de guides sur l'art et la création artistique avec cinq premiers titres :Moscou ;Berlin ;Athènes ;Lisbonne ;Nantes, Rennes & Brest.