Dossier

En France, en Allemagne, aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Espagne, les listes des meilleures ventes de polars divergent peu. Sur le marché français, les best-sellers internationaux tirent le rayon avec près d’un million de volumes de La fille du train de Paula Hawkins (Sonatine et Pocket) vendus depuis 2015, dont 480 000 en poche, tandis que 480 000 exemplaires du Millénium 4 de David Lagercrantz se sont écoulés. S’il n’est pas nouveau (il y a eu le Da vinci code de Dan Brown et la trilogie Millénium de Steig Larsson), le phénomène prend de l’ampleur : tout le monde court après la prochaine Fille du train, notamment pendant les foires du livre de Francfort et de Londres, pour le plus grand plaisir des agents américains, mais au risque de perdre l’identité du polar en route.

Passion mondiale

Le noir se porte bien (+ 4 % en 2016 selon GFK) et représente toujours un roman vendu sur quatre (1). "Rivages/Noir", qui a fêté ses 30 ans en 2016, annonce une hausse de 38 % de son chiffre d’affaires, et Le Livre de poche une augmentation de 11,4 % pour la même année et une hausse de 148 % des ventes du prix des Lecteurs dans cette catégorie. Pocket, editeur de La fille du train, est en augmentation de 3 %, et 10/18 de 19 % (grâce notamment à Am stram gram de M. J. Arlidge, repris des Escales, à Réponses, un premier thriller d’Elizabeth Little repris de Sonatine, et aux livres d’Anne Perry). De son côté, la "Série noire" a réalisé ses meilleurs scores en 2015 et 2016. La passion pour chest mondiale. A l’heure d’une internationalisation des groupes d’édition, HarperCollins France, filiale du groupe américain éponyme, a lancé en janvier un label HarperCollins Noir. "Nous nous appuyons sur le réseau de dix-huit éditeurs d’HarperCollins dans le monde avec lesquels nous partageons les informations. Nous avons parié sur L’inconnue du quai de Mary Kubica, que nous avons publié en janvier dernier, avant son succès aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Nous construisons notre label plutôt avec les domaines anglo-saxon et suédois (avec Emelie Schepp), mais mon rêve est de découvrir un auteur français et de le développer dans les dix-huit pays", explique Emmanuelle Bucco-Cancès, directrice générale d’HarperCollins France.

"Quand un deal se conclut aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, les agents se disent que les filiales des autres pays peuvent être intéressées." Sabrina Arab, HarperCollins France- Photo OLIVIER DION

"Quand un deal se conclut aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, les agents se disent que les filiales des autres pays peuvent être intéressées", renchérit Sabrina Arab, directrice éditoriale adjointe d’HarperCollins France. Marabout a acheté sur manuscrit et sans enchères Te laisser partir de la Britannique Clare Mackintosh avant qu’il n’atteigne les 800 000 ventes (cumulées) en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, et plus de 30 000 en France. L’éditeur annonce le deuxième, Je te vois, pour le 22 mars, "mais ce sera plus difficile pour l’acquisition du troisième", reconnaît la directrice éditoriale, Hélène Gédouin, car la concurrence dans les enchères entre éditeurs français est plus rude, avec une multiplication d’acteurs. Deborah Druba a acheté pour Kero Canicule de Jane Harper (janvier), acquis par la société de production de Reese Witherspoon, et préempté Jusqu’au bout, premier roman d’Alexandra Oliva, acheté par 25 pays (mars).
 

"Nous sommes de plus en plus sollicités par les éditeurs du groupe et même les éditeurs indépendants pour participer à l’offre car notre force de frappe et de diffusion est importante." Constance Trapenard, Livre de poche- Photo OLIVIER DION

Chez Laffont, Ragdoll de Daniel Cole, un thriller dans la lignée de Seven, bénéficie le 9 mars d’une sortie mondiale dans 35 pays. "Il y a eu une journée de préemptions à Londres en mars 2016 et tout le monde était d’accord pour dire que le livre le méritait. Nous avons fait une offre couplée avec Pocket", explique Glenn Tavennec, directeur de la collection "La bête noire". "C’est vrai que nous sommes de plus en plus sollicités par les éditeurs du groupe et même les éditeurs indépendants pour participer à l’offre car notre force de frappe et de diffusion est importante", confirme Constance Trapenard, éditrice du policier et du thriller au Livre de poche. Mazarine (Fayard) a envoyé des épreuves luxueuses - blanche avec couverture gaufrée et tranche rouge - de La fille d’avant de J. P. Delaney, "hot book" acheté aux enchères à Francfort en 2016, publié le 8 mars et vendu dans 30 pays.

L’enjeu pour Préludes (la marque de moyen format du Livre de poche) est Mon amie Adèle (Behind her eyes en VO) de Sarah Pinborough, un thriller psychologique vendu dans 25 pays. Tandis que les Presses de la Cité publieront en 2018 le "hot book" de Francfort 2016, The woman in the window de A. J. Fin, un thriller hitchcockien - dont l’héroïne, agoraphobe et alcoolique, passe son temps à visionner de vieux films, espionne ses voisins et assiste à un crime -, vendu dans 25 pays et à la Fox. Pygmalion mise sur The chalk man de C. J. Tudor, remporté aux enchères lors du dernier Francfort et vendu en 36 langues.

Arguments de vente

S’ils peuvent générer des succès, ces projets mondiaux sont parfois complexe à lancer. "Une sortie mondiale comme celle de Millénium 5, le 7 septembre dans 25 pays sur 40, est très contraignante. On ne peut pas se permettre une parution après les Anglo-Saxons comme pour Harry Potter, et contrairement aux Anglais nous ne travaillons qu’avec un seul traducteur qui n’aura le texte que début mars", tempère Manuel Tricoteaux, responsable d’"Actes noirs", qui a aussi acheté Millénium 6 (prévu en 2019) et annonce pour fin 2017 le 10e et dernier volet de la série de l’enquêtrice-écrivaine Erica Falck de Camilla Läckberg, laquelle souhaite désormais n’écrire que des titres isolés. Les données étrangères sont dorénavant des arguments de vente pour la sortie française auprès des équipes commerciales comme des journalistes, et figurent sur les argumentaires et sur les bandeaux des livres. "C’est de l’uber-best-sellerisation. C’est presque un sous-genre, mais en même temps le phénomène déborde du roman policier pour toucher la littérature et les essais, si on en croit le succès mondial de L’amie prodigieuse et de Sapiens", souligne Hélène Fiamma, directrice de Payot & Rivages. Sonatine a tiré son épingle du jeu. Arnaud Hofmarcher et Marie Misandeau ont acheté en amont, pour une somme raisonnable, les deux titres de Paula Hawkins, bien avant le succès de La fille du train, et s’apprêtent à lancer le deuxième en juin, en même temps que le reste de la planète. "Le buzz a commencé quand on a appris que Spielberg allait l’adapter : le livre a fait l’ouverture des journaux qui n’en avaient jamais parlé jusque-là", précise Arnaud Hofmarcher, qui s’est fait une spécialité de dénicher les titres un peu oubliés et donc de ne pas participer aux enchères et aux grands élans sur les foires.

"Les titres étrangers sont centrés sur peu de personnages et travaillent les focalisations et la manipulation du lecteur qui ne sait pas quelle voix est celle du coupable." Valérie Miguel-Kraak, Fleuve éditions- Photo OLIVIER DION

Mais le phénomène se limite à un certain type de roman, plutôt le thriller psychologique, lu par des femmes. "Clare Mackintosh met en scène un pervers narcissique. C’est une histoire de manipulation qui a quelque chose d’universel et touche les lectrices", note Hélène Gédouin (Marabout). "Les titres étrangers sont centrés sur peu de personnages, généralement une héroïne, et travaillent les focalisations et la manipulation du lecteur qui ne sait pas quelle voix est celle du coupable", raconte Valérie Miguel-Kraak, directrice éditoriale de Fleuve éditions. Tandis qu’un confrère fustige ces polars qui mettent en scène "une femme mariée, alcoolique, qui a des enfants et des problèmes, et que personne ne croit", la fameuse "unreliable narrator" (narratrice non fiable).

Gare aux emballements

"Chaque année, il y a deux ou trois gros titres que les éditeurs s’arrachent. Je n’y vais pas parce que ce n’est pas notre public", confirme Aurélien Masson, directeur de la "Série noire". "On voit l’excitation mondiale se manifester, on reçoit des mails toutes les dix minutes, tout le monde croit que le livre va être le prochain phénomène mais il faut garder la tête froide, il faut avoir du nez, trouver de bons livres et les défendre", renchérit Anne Michel, éditrice de la littérature étrangère chez Albin Michel. Miséricorde de Jussi Adler-Olsen s’est vendu à 400 000 exemplaires dans son pays, au Danemark, à un million en Allemagne, à 70 000 en France (en grand format). "C’est un succès mondial, traduit dans 50 pays, mais ce n’est pas La fille du train, précise-t-elle. Il faut être prudent et ne pas surpayer dans un effet de surexcitation collective des livres qu’on ne va pas vendre si bien ou qu’on aura payé trop cher". Car les emballements sont grands. "En ce moment, les enchères montent sur le nom de l’agent, qui est celui de X… alors qu’on sait qu’on ne peut pas dupliquer un succès. La fille du train a permis un partage d’expériences et a rassuré des marchés frileux. Mais être rassuré n’est pas une politique éditoriale en soi", explique Valérie Miguel-Kraak, qui vient de publier La veuve de Fiona Barton, acheté par 38 pays. "Nous en avons retardé la publication afin d’échanger avec les autres éditeurs et de lui donner de la place, raconte-t-elle. C’est un pari : Planeta, qui en a les droits pour la langue espagnole, en a fait son "livre de l’été" 2016, mais nous n’avons pas reproduit ce qu’ont fait les autres." A contrario, elle annonce pour la fin de l’année Mad, bad et dangerous to know de Chloe Esposito, dont elle a aimé le ton, vendu sans agents par l’auteure elle-même.

"Le marché de la mondialisation, ce n’est plus celui de l’auteur. C’est le personnage qui fidélise. Dans les livres de Philip Kerr, c’est Bernie Gunther [revenu le 9 mars dans Les pièges de l’exil, NDLR] qui attire les lecteurs", commente Marie-Caroline Aubert, éditrice des polars étrangers du Seuil. "Si l’on sort des sentiers battus et des titres anglais ou américains, on échappe au phénomène. L’Islandais Indridason, l’Italien De Cataldo ou le Français Olivier Truc sont dans les meilleures ventes", souligne Anne-Marie Métailié. "On ne se positionne pas sur ce genre de livres mais le phénomène s’est accentué. C’est autre chose qui se joue avec les "hot books" des agents : il faut se faire de la publicité, dire qu’on l’a acheté deux ans avant la sortie du livre. Patrick Raynal avait payé très peu cher les livres de James Crumley pour la "Série noire"", confirme Jeanne Guyon qui a repris "Rivages/Noir" avec Valentin Baillehache. "On ne cherche pas ce type de texte. Bondrée d’Andrée Michaud est un texte littéraire d’une auteure reconnue au Québec. William Boyle, l’auteur du numéro 1000, n’avait pas d’agent quand on l’a publié", ajoute Hélène Fiamma.

Prises de risques

Pourtant, l’industrialisation du best-seller a ses limites. Tout le monde s’est emballé pour Ghostman de Roger Hobbs qui a été acheté dans 90 pays, mais il n’a pas fait le score attendu. Lee Child, Douglas Preston, Joseph Finder et David Baldacci n’ont jamais atteint en France les scores qu’ils réalisent aux Etats-Unis. "C. L. Taylor a du mal à percer en France alors qu’il se vend très bien en Grande-Bretagne. Ce sont de bons livres, mais la difficulté pour nous est de les faire lire", confirme Hélène Gédouin. "Les lancements mondiaux sont de grosses prises de risque et on ne peut pas les reproduire souvent", souligne Glenn Tavennec, qui a vendu 25 000 exemplaires de Maestra mais avoue que le soutien marketing du livre n’a pas toujours été bien perçu, "alors qu’il s’est très bien passé en Espagne".

"Le genre a changé, y compris dans la tête des gens. Je défends le polar comme roman réaliste." Anne-Marie Métailié, Métailié éditions- Photo OLIVIER DION

"On arrive au bout du thriller psychologique et du narrateur non fiable. Les lecteurs cherchent avant tout à être surpris et on ne sait pas quel va être leur prochain engouement", prédit Glenn Tavennec. Car le polar a cette capacité à se renouveler. Le polar français se défend pas mal même si ses scores ne sont pas ceux de La fille du train ou de Millénium. "Le genre a changé, y compris dans la tête des gens. Je défends le polar comme roman réaliste. L’Islandaise Lilja Sigurdardottir, à travers son héroïne qui passe de la drogue pour nourrir son enfant, fait la lumière sur la société islandaise.L’Espagnole Juana Salabert dépeint la crise ibérique par le biais de la corruption et la cupidité d’escrocs qui n’ont pas honte alors que les gens crèvent de faim dans la rue", clame Anne-Marie Métailié.

A la "Série noire", "les Français se vendent mieux", précise Aurélien Masson qui, après les meilleures ventes de Caryl Férey et DOA, poursuit en 2017 avec Thomas Bronnec, Ingrid Astier, Elsa Marpeau et Sébastien Raizer. Au Livre de poche, Grossir le ciel de Franck Bouysse et Deux gouttes d’eau de Jacques Expert ont dépassé les 50 000 ventes, et Poulets grillés de Sophie Hénaff les 70 000.

Chez Albin Michel, Stéphanie Delestré se réjouit des scores de Maxime Chattam, Ian Manook, Sophie Hénaff et même Julie Ewa dont le premier roman a profité de l’effet collection "Spécial suspense". "Au fil des ans, on a construit un catalogue très éclectique qui va du thriller avec Chattam au roman humoristique de Gendron et Hénaff, en passant par un policier plus classique avec un flic pour héros mais qui se déroule dans une Mongolie exotique de Ian Manook, un premier roman comme Têtes de dragon de David Defendi qui a créé la surprise ou un roman d’aventures d’Antonin Varenne", commente-t-elle.

Chez Fleuve éditons, Valérie Miguel-Kraak constate que ses découvertes françaises, paris de l’année 2016, ont eu du succès et des cessions avant même la parution des livres dans quatre pays pour Christian Carayon, et Louise Mey a été préemptée en Allemagne. "Pierre Lemaitre a fait bouger les lignes et on a des auteurs qui flirtent avec la littérature blanche et dépassent le lectorat habituel du polar", analyse-t-elle. En 2017, elle parie sur le Guadeloupéen Stéphane Pair et son "travail sur la langue", la Corse Elena Piacentini, Hervé Jourdain, un ancien flic. "Barton, Pair, Colize et Piacentiniproposent des textes très documentés. Il y a la volonté chez ces auteurs de s’appuyer sur quelque chose de solide au-delà des histoires, contrairement au thriller psychologique étranger", insiste-t-elle.

"On a une démocratisation absolue du genre qui va du lectorat le plus large au plus pointu. On va chercher des auteurs français chez des petits éditeurs comme La Manufacture, Mirobole, Finitude, Au-delà du raisonnable", note Carine Fannius, directrice éditoriale de Pocket et de 10/18, qui ajoute qu’elle s’appuie sur le prix des lecteurs Nouvelles voix, lancé en 2016.

Hybridation des genres

Depuis quelques années, le polar est en mutation (2). "Le noir ne marche pas vraiment à part James Ellroy. Deon Meyer a changé de registre pour son prochain roman et s’essaie à la dystopie, comme Emily St. John Mandel. Ils renouent ainsi avec le genre : c’est une prise de conscience de ce qu’on est en train de vivre et du monde qu’on prépare. Avec eux, le polar redevient un instrument d’analyse et de dénonciation des écarts de la société", souligne Marie-Caroline Aubert (Seuil), citant les auteurs de ses confrères. "Les auteurs scandinaves sont maintenant traités à l’égal des Anglo-Saxons et on assiste à un affaiblissement de l’offre. A l’époque de Millénium, c’était un territoire peu exploré. Nous nous intéressons maintenant à l’Allemagne", note de son côté Manuel Tricoteaux. Carine Fannius indique aussi une tendance aux séries plus courtes, de quatre ou cinq titres, qui peuvent se lire indépendamment, contre une quinzaine autrefois "parce que les auteurs se lassent". "10/18 accueille aussi des auteurs qui écrivent ailleurs mais ont envie de faire un polar historique pour "Grands détectives"", ajoute-t-elle.

"Le marché est saturé et on se doit de proposer des choses nouvelles. Il va y avoir du mouvement dans la production des cinq ans à venir." Glenn Tavennec, Laffont- Photo OLIVIER DION

L’hybridation des genres et le côté protéiforme du polar ont amené le Seuil a créer "Cadre noir" pour sortir de sa collection "Seuil policier", un peu enfermante (3). "Le marché est saturé et on se doit de proposer des choses nouvelles. Les lecteurs ont aussi changé. Ils viennent du young adult, ont entre 30 et 35 ans et n’ont pas les mêmes goûts que les éditeurs : il y a une crise de génération dans la production et dans le choix des textes. Il va y avoir du mouvement dans la production des cinq ans à venir", prédit Glenn Tavennec. Il y en a déjà dans l’édition avec un certain renouvellement dans les maisons. François Guérif a pris sa retraite de "Rivages/Noir" où il ne suit plus que quelques auteurs comme James Ellroy, Dennis Lehane ou James Lee Burke, tandis que Valentin Baillehache a rejoint Jeanne Guyon pour piloter la collection. Gwenaëlle Denoyers, venue de Baleine, a rejoint le Seuil pour s’occuper des auteurs français de "Cadre noir", Marc Fernandez lance "Sang neuf" chez Plon, et Carla Briner et Violaine Chivot, la trentaine chacune, veillent sur le vénérable Masque qui fête cette année ses 90 ans.

Les modes de médiatisation et de commercialisation du polar sont aussi bouleversées. Les sorties se concentrent sur le premier semestre, parce que au second la rentrée littéraire mobilise journalistes et libraires. Et la critique littéraire a basculé sur Internet. "La presse est en concurrence avec les sites et les blogs. Tout se passe sur le Web, y compris la publicité. Seule la télévision parvient à déclencher des ventes", se désole Glenn Tavennec. Le poche demeure un partenaire incontournable, "indispensable pour construire un auteur" selon Glenn Tavennec qui, pour le lancement de L’étoile jaune de l’inspecteur Sadorski de Romain Slocombe, compte sur la "synergie puissante avec Points" qui reprendra L’affaire Léon Sadorski. Véritable caisse d’amplification des ventes - La trilogie berlinoise de Philip Kerr a dépassé les 200 000 ventes au Livre de poche -, le secteur aussi évolue. Chez Rivages, Hélène Fiamma est passée de 48 nouveautés en 2013 à 20 en 2016 et 2017. "Nous publions moins de livres, ce qui permet de mieux les accompagner et de les vendre mieux. Notre taux de retour est passé de 37 % à 22 %, notamment grâce au travail sur le fonds pour les 30 ans de "Rivages/Noir". La "Bibliothèque des 30 ans" est devenue "Lectures sur ordonnance" et nous rééditons deux titres par mois avec un bandeau où un auteur ou un journaliste revendique l’ouvrage. Ce n’est pas mécanique, on choisit en fonction du moment et de l’actualité mais cela nous permet de toucher de nouveaux lecteurs", détaille Hélène Fiamma.

Et tous rêvent d’une adaptation au cinéma ou à la télévision. "Coben a été relancé par la série Une chance de trop et Minier par l’adaptation de Glacé", note Carine Fannius. Rivages attend Les hommes de proie, d’après Edward Bunker. La "Série noire", celle du Bonhomme de neige de Jo Nesbø pour octobre (tandis que "Folio policier" a lancé une nouvelle maquette pour tous ses titres) tout en publiant La soif. Fort d’une augmentation de 4 000 % des ventes de Carol de Patricia Highsmith, adapté au cinéma, Le Livre de poche trépigne d’impatience pour celle du Crime de l’Orient-Express par Kenneth Branagh avec Johnny Depp et Penélope Cruz (29 novembre). Tandis qu’Albin Michel qui inscrit les aventures d’Agatha Raisin sur les meilleures ventes, table sur la diffusion par France 3 de la série qui en a été tirée, et sur celle issue des livres de Jussi Adler-Olsen avec une saison par titre. C. C.

(1) "Les meilleures ventes 2016", LH 1113 du 20.1.2017, p. 22.
(2) "Le polar mutant", LH 1077, du 18.3.2016, p. 55.
(3) "Le Seuil lance "Cadre noir"", LH 1115 du 3.2.2015, p. 37.

Le roman policier en chiffres

La vague noire en librairie

 

Les libraires de polar observent un élargissement de leur public cible et, devant une production foisonnante, travaillent à affiner l’offre et à la mettre en scène via rencontres et événements.

 

"Présenté comme très masculin, sous-genre mal écrit, le polar s’est ouvert au public féminin avec des "page-turners"." Lamia Toumi, Gibert Joseph- Photo OLIVIER DION

Le polar se porte bien, même très bien", constate Corinne Picaudé, responsable poche et polar à la librairie Hall du livre, à Nancy, qui a agrandi son rayon face à l’explosion de l’offre. La montée en puissance du polar et son ouverture vers le grand public remontent au début des années 2000, avec notamment Da Vinci code de Dan Brown et la trilogie Millénium de Stieg Larsson, précisent les libraires, donnant une visibilité médiatique à un genre longtemps réservé aux spécialistes. "Auparavant, le lectorat était masculin amateur de roman noir. Je trouve qu’il s’est féminisé, avec une préférence pour le suspense, le thriller avec des auteures comme Fred Vargas", analyse Corinne Picaudé. Une évolution que confirme Lamia Toumi, qui anime un grand espace polar à la librairie Gibert Joseph du boulevard Barbès, à Paris 18e. "Le profil s’est transformé mais l’offre a aussi beaucoup changé. Présenté comme très masculin, sous-genre mal écrit, le polar s’est ouvert au public féminin avec des "page-turners"." Parmi les grands succès de ces derniers mois, en poche et en grand format, les libraires interrogés citent, outre les best-sellers comme La fille du train, Cartel de Don Winslow (Seuil, 2016) ou les livres d’Hervé Le Corre, dont le dernier paru en janvier, Prendre les loups pour des chiens (Rivages).

"Le lecteur de polar est un des plus gros acheteurs" de livres, indépendamment des prix littéraires et autres récompenses, car c’est un lecteur "compulsif", ajoute Lamia Toumi. Le polar reste pour beaucoup, et pour ses lecteurs au premier chef, un ouvrage facile pour les trajets quotidiens ou les vacances, comme en témoignent "les pics de ventes en juillet-août et décembre", souligne David Bars de la librairie Gwalarn, à Lannion. Mais pour le libraire, ce n’est pas tant le profil des lecteurs qui a changé que le polar en lui-même qui a muté.

Médias prescripteurs

"Les auteurs comme Hervé Le Corre ou Benoît Philippon pourraient très bien entrer en collection "blanche"", souligne-t-il. Un autre auteur a joué un grand rôle dans la reconnaissance du polar, aux yeux de Lamia Toumi et de Corinne Picaudé : Pierre Lemaitre et son prix Goncourt en 2013 pour Au revoir là-haut (Albin Michel), alors qu’il était surtout renommé pour ses romans policiers. "Les éditeurs l’ont bien senti et les médias contribuent à cette meilleure image : "La grande librairie" invite des auteurs de polars, le magazine Lire leur consacre une rubrique", résume Lamia Toumi.

Si les médias restent prescripteurs et les best-sellers incontournables, les lecteurs qui ont découvert l’univers du polar comme les "accros" de longue date sollicitent les conseils des libraires. "Un peu perdus face à la profusion, ils recherchent des conseils via les blogs, les clubs de lecture, Facebook et bien sûr leur libraire", explique Lamia Toumi qui oriente "des gens parfois intimidés" face à la taille de son rayon qui est complété par quatre tables de présentation. "Je fais un premier tri avec les représentants qui m’aident à affiner, et puis l’expérience parle". Si elle dispose Harlan Coben et Guillaume Musso en évidence, cette grande lectrice de polar note ses coups de cœur et essaie de faire preuve "de réactivité : si un article a beaucoup fait parler d’un titre, [elle] le lit et le met en valeur". "Et puis, ajoute-t-elle, au bout de trois ans, je connais ma clientèle !"

La question du choix reste cruciale. "Dans une grande librairie comme la nôtre, on essaie d’avoir un choix large : de tout chez tout le monde, alors qu’en poche, on fonctionne aux coups de cœur des libraires", explique Corinne Picaudé, qui a le "souci d’exploiter la place au maximum".

Dans sa librairie de Lannion, avec "un rayon trop petit", David Bars doit opérer des "choix drastiques" en combinant des titres "piochés dans les services de presse" et ses goûts personnels. Olivier Pène, de La Machine à lire, à Bordeaux, réalise "des choix en amont" écartant des ouvrages de maisons avec lesquelles il ne travaille "pas du tout". Et il insiste sur l’événementiel. Il a lancé il y a cinq ans "La Machine à polar", des rencontres tous les mois avec Yan Lespoux, auteur du blog littéraire Encore du noir, et Hervé Le Corre qui discutent de leurs lectures avec le public, "permettant de faire connaître des auteurs et de les ressortir de l’ombre". Chaque édition est assortie de la mise en valeur d’une dizaine d’ouvrages. Lamia Toumi a une démarche similaire avec, chaque année en mars, depuis trois ans, un mois du polar. Ainsi, samedi 4 mars, était présenté en avant-première Mör de Johana Gustawsson (Bragelonne). L. J.-G.

Meilleures ventes : le noir va si bien à Albin

Le poche domine encore largement en 2016 la liste des best-sellers puisque 36 titres sur 50 sont dans ce format. Avec 15 titres sur 36, Pocket est leader, devant Le Livre de poche (13 titres), et compose le tiercé de tête avec Paula Hawkins bien sûr, Michel Bussi et Harlan Coben, Pocket place même 4 titres dans le top 5 (avec Bernard Minier). Les autres éditeurs arrivent loin derrière : Points inscrit 3 titres ; Babel, J’ai lu et 10/18 avec 1 titre chacun. Sans oublier les prix du Quai-des-Orfèvres 2016 (Le crime était signé de Lionel Olivier) et 2017 (Mortels trafics de Pierre Pouchairet) chez Fayard.

En grand format, Albin Michel reste l’éditeur de polar le plus vendeur avec 7 titres, français et étrangers, dans le palmarès signés Pierre Lemaitre, Jean-Christophe Grangé, Maxime Chattam, Mary Higgins Clark, Stephen King et Jussi Adler-Olsen, démontrant sa capacité à se renouveler.

Les ventes se concentrent sur un nombre restreint d’auteurs comme Michel Bussi, présent avec 7 titres dans la liste (contre 6 l’an dernier), ce qui laisse peu de place aux surprises. Celles-ci se font en poche : à côté des prix des Lecteurs policier du Livre de poche 2015 (Je suis Pilgrim de Terry Hayes) et 2016 (Poulets grillés de Sophie Hénaff), on trouve des premiers romans comme Partir de Tina Seskis ou Am stram gram de M. J. Arlidge, et les découvertes scandinaves d’Albin Michel, Asa Larsson et Viveca Sten. C. C.

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